L’enfermement, de Florence Henry

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Le livre de Florence Henry, l’Enfermement, parle d’enfermements, au pluriel, même si le titre est au singulier, mais surtout d’espoir, de petites luttes au quotidien pendant des années, minute après minute, pendant des heures chaque jour pour finalement gagner la bataille de la vie…

L’enfermement, elle connaît, Florence, de ses années de jeunesse, du temps de son anorexie….Cela a déjà été un dur combat…. C’est peut-être cela qui l’a préparé aussi à avoir la volonté de se lancer dans le grand défi d’aider sa fille autiste à sortir du sien. ..« L’anorexie aurait pu avoir ma peau. Est-ce pour cette raison que je ne peux pas laisser Océane s’éloigner ? A cause de son angoisse qui, comme un écho, tambourine en moi, familière, insupportable... »

deux cadenas CP Karim TATAI Strasbourg

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Il y a l’enfermement d’Océane, certes, mais il y a aussi l’enfermement social qu’entraine l’autisme, quand toutes les portes de ferment, parce que l’on refuse l’évidence des autres, parce que mettre Océane dans un hôpital de jour lui arrache les tripes, qu’après des événements traumatisant Océane ne peut rester à l’école.avec en filigrane le mari de Florence, gardien de prison, qui ramène le soir en silence ou en partage les lourdes histoires de ses journées derrière les murs.

Pendant les premières années d’Océane, Florence vit le parcours semblable à la majorité d’entre nous, les salles d’attente de spécialistes pour avoir un diagnostic, les dossiers pour obtenir des aides, des prises en charge, faire aller sa fille à l’école, comme les autres enfants, gérer les incompréhensions des uns et des autres… guettant les moindres signes de contact, entre découragements et euphorie pour un soupçon de sourire obtenu, un premier « A » prononcé en conscience, croyant, malgré tous les diagnostics et petites phrases assassines, dans les capacités de son enfant… avec aussi parfois le doute qui la submerge « Et si tout cela ne servait à rien ? »

feronnerie sur un puit à venise Karim TATAI Strasbourg

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Océane ne va à la maternelle que le matin et les après-midi, toutes les deux partent dans de longues séances de dessin, Florence guide inlassablement la main de sa fille dans l’espoir qu’elle « intègre le simple geste de tracer une ligne, dans le but de lui donner une direction ; un jour peut-être y trouvera-t-elle un sens »

Le CMPP retire à Océane ses séances d’orthophonie, jugées inutiles car l’enfant est trop « touchée ». On lui conseille de laisser le soin d’Océane à des professionnels, en hôpital de jour…. Pendant l’été, Florence passe ses journées entières avec Océane à visiter chaque lettre de l’alphabet, à en tracer les contours en guidant sa main….Florence se fait clown, exagérant ses moindres expressions, espérant que sa joie, son mécontentement, ses émotions passent au-delà du mur d’incompréhension… Elle saute, se roule par par terre, tourne, virevolte, fait des hourra…. espérant happer une seconde d’intérêt, de compréhension…. Après les lettres, elle attaque les syllabes…. Reprenant inlassablement le travail de la veille….

Océane fait des progrès, mais seule Florence les voit… Il sont tellement infimes, mais elle s’y accroche de tout son être. A l’école, pourtant ce n’est pas concluant. Le départ de la maîtresse laisse Océane à la maison… Florence profite de ce temps supplémentaire pour la faire travailler. Elle remarque que les progrès sont constants.

Océane a 5 ans quand sa petite sœur Enora naît… Florence, en permanence met les deux enfants en contact en prenant le ton de faire parler Enora, comme on le ferait avec une marionnette. « Bébé s’exprime et, à travers ce petit bout de fille, le monde se dévoile, tangible, abordable. Ses rires accrochent l’attention fugace de l’aînée… »

Verrou, Karim TATAI Strasbourg

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Florence n’a pas renoncé à la scolarité d’Océane… La fillette retourne à l’école pour la fin de l’année scolaire et là, c’est le drame. Quand Florence vient chercher Océane, celle ci a les yeux éteints, rougis par les larmes… Le malaise est palpable…. Il s’est forcément passé quelque chose, mais Océane ne parle pas… Le soir, quand elle veut déshabiller Océane, celle-ci refuse qu’elle la touche… Florence interroge… cherche et trouve…. malgré les silences gênés et les explications édulcorées et embarrassées.  Pendant la récréation, deux enfants ont déshabillé et mis à nue Océane…. Florence porte plainte, mais de la directrice aux gendarmes chacun lui prêche la modération pour le « bien de la petite »… et la sérénité de tous…. L’affaire s’éternise de convocations en convocations… Océane se renferme et Florence comprend qu‘ »il n’y a aucune justice pour celui qui n’a pas les mots…. »

A la maison, il faut tout réapprendre ce qui avait été acquis… jour après jour… Voir des « professionnels » aussi… Encore et encore… Avec des propositions de prise en charge en Centre Médico-Psychiatrique, de médicamentations…. aucunes proposition de rééducation…. et ce n’est pas faute de chercher….

Septembre arrive…. après trois mois de batailles, Océane retourne à l’école deux heures par jour, le matin…. L’école n’est pas dans les meilleures dispositions…  Florence est comme toutes les mères d’enfants autistes, elle a une telle connaissance de sa fille et de ce qui serait bien pour elle qu’elle indispose tout le monde avec ses attentes, ses recommandations, ses remontrances…. combien d’entre nous connaissent cela au quotidien….

Grille 4 Exposition Autiste-Artiste 2014 Karim TATAI

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Et puis un jour, Océane revient avec des bleus…. Après questionnements, Océane montre un enfant…. C’est l’enfer qui recommence, à peine 6 mois après le précédent drame… Mais maintenant, c’est elle qu’on montre du doigt… Ne serait-ce pas un Syndrôme de Mûnschhausen par procuration ? Florence se sent acculée…Heureusement son mari la soutien fermement…. Si elle avait été une femme seule, sans doute la protection de l’enfance lui aurait-elle retiré Océane….

Malgré son envie d’une scolarisation pour sa fille. Florence décide d’opter pour la scolarisation à domicile.  Sa décision est libératoire… Elle respire…. C’est le saut dans le vide, l’inconnu, certes, mais elle se sent légère… elle n’aura plus à se battre contre le monde entier… Juste elle, Océane et Elora qui ne va pas encore à l’école.

Grilles 3 Exposition autiste/artisteKarim TATAI Strasbourg

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Océane a 6 ans. Depuis trois ans qu’elle la stimule, elle a fait beaucoup de progrès, qui peuvent paraître modestes à d’autres…. Elle utilise quelques mots que souvent seule Florence comprend… Florence mesure toute l’étendue de ce qu’il faudra apprendre pour passer le premier contrôle de l’inspectrice de l’Éducation Nationale dans un an… La tâche est immense…. Elle n’a pas encore trouvé le bon système, mais l’objectif doit être simple et accessible. Chaque instant est prétexte à l’enseignement.

Elle veut un avenir pour sa fille, elle veux qu’elle grandisse en toute liberté, mais pour l’instant, elle sent au fond d’elle même qu’elle doit la rendre endurante, la droguer au travail…

Le 29 mars 2007 elle commence le cahier de bord d’Océane. Le premier d’une longue série dans laquelle elle va, avec Océane consigner tout ce qu’elles font et vivent : le temps, les événements…La main de Florence guide celle d’Océane, encore et encore…. Elle écrivent ce qu’elles ont fait le matin, réécrivent ce qu’elles ont fait hier,  avant hier et les jours d’avant… Un mot plus loin, au-delà de la fatigue, des pleurs…. Le temps entrecoupé de pauses explosives, délirantes, gorgées de rires , pendant des heures ardues de travail…. Et l’on reprend, encore et encore… C’est certainement du bourrage de crâne, mais ça fonctionne…. Océane intègre les mots dans sa mémoire…

meurtrière Karim TATAI Strasbourg

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Florence s’en veut, mais à la fin de l’année scolaire, il y a l’inspectrice et si les résultats ne sont pas concluant, l’utopie prendra fin….Elle est aussi suivie de loin par l’Institution… Des rendez-vous régulier chez des pédopsychiatres. Même si cela lui fait très mal de forcer Océane, s’il n’y a pas de résultats mesurables, elle sait ce qui les attend…. C’est un travail de titan… Florence est certaine que les exercices deviendront des automatismes… Refaire, reformuler, imiter… Florence est en symbiose avec Océane…. Elle arrive à repérer l’instant où la connexion se fait… Après, il faut fixer la mémoire….Des exercices, encore et encore… des exercices, des jeux qu’elle invente, improvise au fur et à mesure, persuadant Océane que c’est elle qui mène la danse, que c’est elle qui raconte, qui fait le puzzle, qui active le stylo….  Elle relit encore et encore les textes écrits précédemment, s’arrêtant pour laisser Océane déambulant à sa guise prononcer le mot suivant… Le soir comme récompense, elles font des gâteaux ensemble, dans le bonheur du lâcher-prise….  Florence est quasi aphone le soir…

Elles collent des affiches de planètes, une grande fresque historique dans la chambre d’Océane…Elles découpent des étoiles, qu’elles recollent dans le cahier. Florence ritualise les passages du temps, l’apprentissage se fait danse, l’aiguille tourne, elle danse et déjà l’inspectrice est là… Un année scolaire est passée. Océane lit son alphabet, elle répond aux questions, même si Florence doit traduire, et ouf…. elles ont droit à une année supplémentaire !

par la fenêtre CP Karim tATAI Strasbourg

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Le dessin devient l’outil favori de Florence pour aider Océane à comprendre le monde… Elle explique à Océane son cerveau avec un dessin de pleins de petits bonhommes qui se cognent, se bousculent et qui lâchent et perdent en pagaille leurs papiers d’informations au lieu de les ranger…. Il faut ranger les papiers dans sa tête. Elle revient aussi avec les dessins sur les deux drames d’Océane, pour qu’ils ne s’inscrivent pas dans l’oubli en revenant en cauchemars, aussi pour lui apprendre à se défendre si cela devait se reproduire.

Les affiches envahissent la maison, des lettres, des nom, des verbes, des nombres,le corps, des dessins…. Il y en a partout…. Apprendre le verbe être, le verbe avoir… le oui, le non, les pronoms…. Florence s’appuie sur les programmes scolaires, dévore des livres, des méthodes, les cahiers de vacances, fais peu de tout bois, un dessin animé, un prospectus dans la boîte aux lettres…. Océane commence à griffonner seule sur ses brouillons…. Et elles aident les petits bonhommes à ranger leurs dossiers…

Mois après mois, les cahiers se remplissent, Océane fait des progrès, même si, quand elle se retrouve avec d’autres enfants, la mesure de ce qu’il reste à faire est gigantesque….Florence et Océane travaillent sur tous les plans, les apprentissages scolaires, bien sûr, mais aussi l’émotionnel, l’estime de soi, l’humour, et l’ordonnancement des petits bonhommes dans la tête….

Florence s’en veut d’obliger sa fille à de telles cadences, mais c’est la seule solution pour elle de sortir Océane de son enfermement autistique… Elle s’épuise, devient aphone le soir d’avoir trop parlé, retrouve les forces pour recommencer le lendemain, encore et encore.

En 2009 Florence sent que la mémoire d’Océane s’améliore, qu’elle commence à faire des liens. Océane rit, écrit, progresse, même si la crainte de Florence est qu’un jour les progrès cessent. Elle multiplie aussi les activités périscolaires pour garder un contact avec l’extérieur : piscine, poney, judo, cirque, twirling…. sans oublier l’orthophoniste, les rendez vous chez les spécialistes

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Et les résultats tant attendus arrivent, Océane intègre en 2013 la classe de cinquième… Cela a été loin d’être facile et il lui a fallut plus d’un an pour être à l’aise à l’école, prendre ses marques et avoir des amis…

En 2018, Océane rentre en terminale…. Elle a eu en première un 19 à l’oral de français….

Ce livre est magnifique car il montre toute la détermination et l’amour de Florence pour sa fille et ce désir incommensurable de lui construire un avenir…. Il raconte les difficultés au jour le jour, les doutes, les joies, la douleur, les incertitudes…

Il y a quelques courts chapitres écrits par Océane elle-même…. Elle garde très peu de souvenirs de ces années de travail d’avant ses douze ans….

Vous pouvez aussi écouter l’histoire de Florence et Océane dans l’Emission H

ondelatte raconte sur Europe 1

Si vous avez un enfant autiste, vous trouverez peut-être dans l’histoire  de Florence et d’Océane des pistes et l’énergie nécessaire pour construire la votre. Chaque enfant autiste est différent, l’autisme prend tellement de formes différentes qu’il est difficile de faire entrer les enfants dans des cadres…. Florence a trouvé le chemin d’Océane. Merci beaucoup à elle pour ce superbe témoignage et ce livre émouvant.

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