Petite histoire de Karim

On n’est jamais préparé à avoir un enfant différent. Même lorsque qu’un diagnostic prénatal vient annoncer le handicap, comme la trisomie 21 qui peut se détecter très tôt. On est loin d’imaginer quels changements profonds apportera sa venue, au sein de la famille, du couple, des proches…..Lorsqu’on attend un enfant, on se projette dans l’avenir, on échafaude des rêves, une vie, des possibles probables et puis l’enfant arrive…

Karim TATAI par Patrick Lambin

CP Patrick Lambin

La petite enfance

J’avais 27 ans et déjà une petite fille de quatre ans… Une grossesse sans problèmes, un accouchement sous péridurale. Il avait le cordon autour du cou (le seul souvenir que j’ai de cela est l’injonction de la sage-femme de pousser vite car il avait le cou pris dans le cordon), mais il a crié tout de suite et rien n’a été signalé dans son carnet de santé.

Le retour à la maison où tout semble se passer normalement sauf qu’à la première consultation, Karim n’a pas pris de poids, ni à la seconde, ni à la troisième. Il tête, régurgite beaucoup… Hospitalisation pour observation et examens : caryotype, électroencéphalogramme, recherche du diabète et j’en passe, quinze jours au rythme de deux examens par jour. Passage au biberon, il régurgite toujours mais prend 70 grammes.

Commencent alors quinze mois d’angoisses et de va-et-vient entre l’hôpital et la maison. Trop faible, il fait 17 bronchites, une pneumonie, une pyélonéphrite…. A quinze mois, alors qu’il a une taille normale pour un enfant de son âge,  il fait à peine 7 kilos alors qu’il est né avec 3 k 600. Il n’a que la peau sur les os. Je me souviens pouvoir faire le tour de sa cuisse entre mon pouce et mon majeur…

Des débuts difficiles

 

Karim ne s’assoie pas, mais comment s’asseoir quand on n’a pas les muscles suffisamment toniques. Il ne marche pas, même pas à quatre pattes, il se déplace sur le dos, un peu comme un ver en prenant appui pour pousser avec ses jambes. Il a des mains et des pieds dodus, une bouille ronde et souriante, mais dès qu’on le déshabille, on pense à la sous-nutrition. Je vais voir différents médecins pour « voir » s’ils auraient vu un « cas » identique mais leur seule réaction quand je déshabille Karim est de me signer un bon d’hospitalisation immédiate…. Mais il sort de l’hôpital !!!

Karim TATAÏ par Patrick LAMBIN

CP Patrick LAMBIN

A quinze mois, il est opéré des végétations et prend 1 kilo dans le mois…. Il commence enfin à se remplumer…. Ré-opération des végétations à 22 mois, il prend encore un kilo…. C’est parti…. Il prend enfin du poids régulièrement et rattrape enfin la moyenne de la courbe du carnet de santé.

C’est alors que l’on s’aperçoit des retards accumulés. S’il s’assoit enfin, il ne marchera qu’à deux ans et demie et ne dira ses premiers mots que vers trois ans et ne sera vraiment propre que vers 10 ans, avec des « accidents » réguliers jusqu’à 12 ans. L’arrivée de son frère, deux ans plus tard, nous permettra aussi de mesurer l’étendue de ses retards accumulés.

Il est néanmoins accepté en maternelle à quatre ans parce qu’il manque un enfant pour ne pas fermer une classe. Il parle, mais ses phrases sont incompréhensibles. A la maison, mais aussi à l’extérieur il fait d’énormes colères en se roulant par terre. Il est encore facile de le prendre sous le bras et de l’emporter hurlant loin des oreilles affolées par tant de violence.

L’espoir de la scolarisation s’envole

Karim TATAI par Patrick LAMBIN

CP Patrick LAMBIN

A six ans, malgré tous nos espoirs, il est évident qu’il ne peut rentrer en CP. Mais on espère encore. Après des tests en psychiatrie enfantine, on nous conseille l’hôpital de jour. Nous ne sommes pas encore prêts. Il fera une année supplémentaire de maternelle avec une prise en charge, deux après-midi par semaine, d’une éducatrice de l’APPEI.

A la maison, on vit plutôt en autarcie. J’exerce mon métier de couturière puis de costumière à la maison. C’est plus facile pour gérer les consultations chez les différents médecins. Les amis se font plus rares. On ne sort plus, ou chacun de son côté parce qu’il faut « garder Karim » et la grande soeur deviendra trop tôt « une seconde maman ».

Les colères de Karim sont dévastatrices. Il casse souvent les jouets de son frère et nous n’achetons plus que des objets sans valeur. Parce que les premières suites du handicap : c’est l’isolement, la coupure d’avec « le monde », car tout devient plus difficile : les déplacements, le travail, la vie quotidienne, les relations avec l’entourage, même proche…

 

Un parcours tout tracé

Karim TATAI par PatrickLAMBIN

CP Patrick LAMBIN

A 7 ans, il faut se rendre à l’évidence. Karim ne peut pas aller à l’école. Commencent alors l’hôpital de jour, l’institut médico- pédagogique en externat, puis l’internat quand cela devient trop dur, la valse des éducateurs, des psychologues, assistantes sociales, psychiatres, médecins… La vie va comme elle peut, d’espoirs en angoisses… La quête aussi d’un pourquoi, d’un comment, d’un sens à tout cela… Bien sûr, il fait des progrès, « mais on ne sait pas jusqu’où, ni quand cela s’arrêtera « …

S’il n’a aucuns repères de temps, Karim est particulièrement doué pour le repérage spatiale. Habitant une petite ville, il sort souvent seul dans le quartier où les gens le connaissent. Quand nous déménagerons sur Strasbourg, il en sera de même. Partir seul, c’est son espace de liberté. Le téléphone portable est apparut et au début, nous lui en avons donné un qui ne marchait pas. Il « téléphone des heures », fait de longues conversations avec des personnages réels ou imaginaires ainsi qu’avec lui-même.

Puis nous lui en avons acheté un afin qu’il reste joignable à tout moment…. C’est contre ce téléphone que ses colères se cristalliseront le plus. Combien de fois avons nous dû faire appel autour de nous pour récupérer les portables inusités. A la maison, il regarde sans cesse les même DVD en boucle.

L’internat

 

Karim TATAI par Patrick LAMBIN

CP Patrick LAMBIN

Karim refuse l’internat, veut rester à la maison, mais son absence est aussi pour nous un temps de respiration. Il devient adolescent, jeune adulte. Le temps est passé sans vraiment donner de solutions. On fait comme on peut, au jour le jour. Cela n’a pas été toujours évident de jongler entre le travail, lui et ses frères et sœurs.

Pendant 7 ans, Karim adolescent est en groupe « d’observation ». pour voir quelle pourrait être son orientation. Le centre propose des activités de conditionnement, de jardinage, mais il ne peut rester fixé sur une activité longtemps. Il a toujours des difficultés pour s’exprimer et mélange tout dans ses phrases qui restent souvent des énigmes.

Ses dessins ressemblent encore à ceux d’un enfant de maternelle. Nous avions l’espoir de le voir au moins aller en CAT à défaut de pouvoir occuper un emploi protégé. Et puis le couperet est tombé : « groupe occupationnel ». Si nous avons eu du mal à accepter ce « verdict », Karim l’a refusé avec fureur et détermination.

La vie n’a pas été conforme à nos rêves,

Karim TATAI par Faon Photography

CP Faon Photography

mais est-elle toujours conforme aux rêves ?

A 20 ans, il ne peut pas travailler, il ne sait ni lire, ni écrire – après dix ans, il écrit toujours les lettres de son prénom à l’envers, dans le désordre et en commençant pas la gauche- compte jusqu’à trois, regarde les même films en boucle pour la 243e fois parce qu’il a peur de l’inconnu, de la nouveauté… Il est obsédé par les trains, les bus, les TER, TGV…

Ses propos semblent parfois incohérents, ses angoisses se manifestent par des colères… Puis il vous dit « je t’aime » en vous serrant trop fort dans ses bras… En lui, cohabitent tous les âges de la vie, il peut avoir trois ans, dix ans ou 23 ans…
Il arpente les rues du quartier, ramassant journaux et prospectus qu’il accumule dans sa chambre. Il soliloque en marchant.

Découverte de la photo

Karim TATAI par Patrick Lambin

CP Patrick Lambin

Et puis, un jour, lors d’un court séjour plus qu’épique au Carnaval de Venise avec des amis photographes, il demande un appareil photo pour faire comme les autres. Avec le petit appareil numérique acheté dans un bureau de tabac, il mitraille, prend tout et n’importe quoi. C’est vrai qu’il a toujours demandé des appareils photos mais on n’a jamais fait développer les pellicules des appareils jetables dont il finissait les 36 poses en moins de 5 mn, certains qu’il n’y aurait rien dessus. Le soir, il faut vider la carte mémoire remplie.

Mes amis ont leur ordinateur.  Bien sûr, sur les huit cents photos de la journée, il y a des photos floues, parce qu’il mitraille sans s’arrêter de marcher, très vite, en haut, en bas, à droite et à gauche… Mais parmi toutes ces photos, il y en a certaines qui vous parlent, son regard a accroché des détails que nous n’avons pas vus… Et ces photos suscitent l’admiration de mes amis photographes amateurs.

C’est suite à ce voyage que (là aussi grâce à une amie) l’idée a germé d’une exposition dans le quartier. Elle avait pour but de changer le regard du voisinage sur Karim. Ne plus le regarder avec peur ou crainte comme l’handicapé éructant en gesticulant après les bus dans la rue, mais comme celui qui fait des photos… L’arrivée de la photo dans la vie de Karim a été au-delà de nos espoirs les plus fous….

Vivre

Karim TATAI expositionCP patrick LAMBIN

CP Patrick Lambin

C’est aussi à ce moment là que Karim a exprimé fermement son désir de quitter l’institution, Il nous a mis au pied du mur.
Que faire de tout ce temps ? Comment l’organiser ? Comment lui permettre d’accéder à la vie d’adulte libre à laquelle il aspire ? Comment l’aider à appréhender son quartier, sa ville, sa société avec le peu qu’il en a appris ?

A ce moment là que consultant régulièrement un psychiatre (dans ma tête pour éviter la médicamentation) le mot autiste a été prononcé après une série de tests. Mais je n’ai jamais aimé mettre Karim dans une case. C’est à la fois rassurant et enfermant. Autiste, et alors ?

Mais c’est vrai qu’avec la grille autistique son comportement devient intelligible et pour nous cela ouvre de l’espoir…

Tout reste à inventer

Les rêves de Karim semblent bien ordinaires : « un travail, un appartement, une compagne », mais combien importants pour lui. La photographie l’amène peu à peu sur le premier chemin, Ses progrès en cinq ans ont été colossaux. Nous faisons maintenant normalement des choses impensables il y a cinq ans…. La vie devient chaque jour plus légère, même si l’activité photo de Karim demande beaucoup de temps et d’investissement. C’est une énergie positive qui porte l’espoir d’un projet de vie.

Pour voir les photos de Karim :

www.karimtatai.fr

 

Karim a maintenant 38 ans, il vit toujours à la maison et continue à faire des photos.

Un livre est sorti : Moi Karim je suis photographe, ainsi qu’un documentaire : Karim à notre insu

Commentaires (4)

  1. Elsa M

    Voilà donc un bon article, bien passionnant. J’ai beaucoup aimé et n’hésiterai pas à le recommander, c’est pas mal du tout ! Elsa Mondriet / june.fr

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  2. Françoise Nailler

    Il y a plein de ressemblances avec ce que j ai vaincu sauf que mon fils Pierre adore être à l ime

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    1. Rita TATAI (Auteur de l'article)

      Chaque enfant est différent. Karim a toujours eu et a toujours un leitmotiv : être à la maison. C’est toujours très difficile de le faire partir de la maison

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  3. Barbier Nina

    Bonjour, Je m’appelle Nina Barbier, je suis étudiante en master 2 de sociologie à l’EHESS et je prépare une thèse. mon sujet d’étude concerne la construction de parent d’enfant porteur d’autisme.
    Je suis actuellement à la recherche de parents volontaire pour me parler de leur expérience et/ou pour remplir un questionnaire très court.
    J’adorerais recueillir vos témoignages.

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