C’est une question que l’on peut se poser par rapport à l’autisme. Si Greta Thunberg avait été française, parcourerait-elle le monde pour alerter sur le climat ? Pourrait-elle ainsi porter sa voix devant les parlements du monde entier ?
La réponse est non, bien sûre. Non pas parce que les autistes de France ne sont pas capables. Mais parce que le système « de prise en charge » français est obsolète et stigmatisant. Malgré la succession des différents plans autisme, la situation des 700 000 autistes en France n’a pas beaucoup changé en 15 ans…. La France accuse toujours un énorme retard qu’elle a du mal à combler. Il ne s’agit pas de mettre des millions dans un énième plan, mais de faire bouger les lignes de toute la société française.
La vision de l’autisme et de la différence en Suède
Greta Thunberg est suédoise. Elle a donc, comme la majorité des personnes à besoins spéciaux de Suède, été scolarisée dans le système éducatif ordinaire. Dès les années 60, la Suède a entamé une politique de désinstitutionalisation.
L’accompagnement des personnes handicapées et de leurs familles dans une politique d’inclusion est particulièrement développé en Suède. Dès la naissance, des équipes mobiles et polyvalentes interviennent en substitution et en accompagnement des équipes médicales. Elles accompagnent les évolutions physiques, sociales et psychologiques auprès de l’ensemble des cercles sociaux dans lesquels évoluent la personne handicapée.
Les élèves handicapés ayant une capacité intellectuelle normale sont intégrés dans l’école de base ordinaire. Ils bénéficient en cas de besoin d’une assistance personnelle ainsi que de matériel d’aide adaptés. Les enfants les plus en difficulté sont dans des sections spéciales rattachées à des écoles ordinaires. Il y a deux formes de scolarité :
- l’école « séparée » de base pour les enfants avec un handicap intellectuel léger qui accueille 70% des élèves,
- l’école dite « d’entrainement» pour les handicaps plus graves qui compte 30% des élèves.
En principe, tous les enfants handicapés sont scolarisés. Le soutien est en grande partie assuré par des enseignants spécialisés, intégrés dans les équipes éducatives de l’école
La vision de l’autisme et de la différence en France
Il y a une sorte de racisme cognitif en France et ce depuis de nombreuses années. Les profils hors normes comme l’autisme sont sur-institutionnalisés. Le secteur institutionnel (centre médico-sociaux et hôpitaux psychiatriques) s’est fortement développé en profitant largement de la manne d’un Etat qui a laissé faire. Rien que pour l’autisme, le budget est de 7 milliards d’euros par an (Rapport de la cours des comptes – décembre 2017). La politique n’a pas beaucoup changé depuis les années 60, même si il y a un réel effort de ce dernier gouvernement et un premier pas vers une école inclusive ou plutôt dite inclusive.
Jusqu’à cette année, seulement 20 % des enfants autistes étaient scolarisés en France. Quand on dit 20 %, on compte les enfants qui sont parfois scolarisés avec des temps d’inclusion ridicules comme 2 heures par semaine. Avec les PIAL pôles inclusifs d’accompagnement localisés, ce pourcentage est en augmentation. Il faut néanmoins être très attentif à ne pas déplacer l’exclusion au sein même de l’école. Une réelle inclusion, ce n’est pas déplacer des classes spécialisées du milieu médico-social vers le milieu scolaire. L’inclusion, c’est accueillir des enfants différents au sein même des classes et se donner les moyens éducationnels et les outils adaptés et nécessaires.
Cela demande bien sûr une réforme en profondeur, à tous les niveaux de la société. Il y a bien sûr, comme l’on peut s’en douter, de fortes oppositions, surtout dans les milieux qui perçoivent cet argent. Leur existence devient forcément précaire et ils doivent se réinventer une raison d’être.
Sortir de l’impasse vers une école réellement inclusive et une société qui le sera tout autant
La France est un des seuls pays d’Europe à posséder autant d’établissements spécialisés qui relèvent de structures ne dépendant pas du Ministère de l’Éducation nationale.
Ce qu’il faudrait faire : ce que préconise Catalina Devandas-Aguilar, la Rapporteuse Spéciale de l’Onu sur les droits des personnes handicapées :
- démanteler et fermer progressivement tous les établissements spécialisés comme cela a été fait il y a 50 ans en Suède, 40 ans en Italie
- réaffecter ces budgets considérables à l’Education Nationale
- outiller et réformer notre système scolaire.
- Cela permettrait d’accueillir les enfants et adolescents à besoins spéciaux
” La France doit revoir et transformer son système afin de fournir des réponses et des solutions véritablement inclusives pour toutes les personnes handicapées. Elle doit assurer une gestion et une répartition plus efficace des ressources. La France doit fournir des services spécialisés et un accompagnement de proximité sur la base de l’égalité avec les autres “.
Alors, soyons attentifs à ce grand tournant que nous prenons. C’est vrai que l’Ecole a pris le chemin de l’inclusion, mais sur le terrain, c’est loin d’être rose.
- Les enfants ont du mal à trouver leur place dans un système trop souvent hostile ou peu accueillant et ouvert à la différence
- Les familles et surtout les mères sont encore trop souvent mal perçues dans leur demande d’inclusion
- Les accompagnants ne sont pas formés ou si peu (peut-on dire que 60 heures de formation soit une formation qualifiante)…
- La mutualisation des accompagnants, là plupart du temps pour des raisons budgétaires, prête à beaucoup de dérives, d’angoisses et de souffrance, tant soit pour les accompagnants que pour les enfants accompagnés et leurs familles.
- Les enseignants sont encore trop peu sensibilisés à ce grand tournant, peu formés et souvent démunis
A quand une Greta Thunberg française ?
Quand verrons-nous en France des adolescents, des adultes autistes ou porteurs d’autres handicaps, mener des projets ou tout simplement trouver leur place dans notre société, avec un travail, une vie qui se rêve et se réalise ?
Quand autoriserons nous et trouverons nous normal qu’une personne porteuse de handicap se batte pour une autre cause que son propre handicap ? Car c’est bien ce qui existe chez nous….
Si Bill Gates avait été français, serait-il devenu l’homme le plus riche du monde ?
C’est encore un énorme parcours du combattant pour les familles qui se battent pour que leur enfant reste dans le système éducatif. Mais cela l’est aussi pour les personnes adultes qui essayent de sortir des carcans de préjugés dans lesquels nous les avons enfermées. Et ne parlons même pas de celles qui sont sous camisoles chimiques ou enfermées dans des hôpitaux psychiatriques parfois sous contention.
Aujourd’hui encore les familles se heurtent à des portes fermées du côté de l’école. Elles sont poussées vers les portes grandes ouvertes des institutions et hôpitaux psychiatriques. C’est un business qui rapporte énormément, subventionné largement par l’argent public. En France, encore aujourd’hui, on interne des personnes qui ne devraient pas l’être, faute de solutions adaptées.
Déplacer les lignes de l’exclusion, de la ségrégation : grande cause nationale pour les années à venir ?
Pingback: Autisme, si Greta Thunberg avait été française, parcourerait-elle le monde pour alerter sur le climat ? – Handi à vie