Pour ceux et celles qui connaissent notre histoire à Karim et à moi, vous savez comment, pendant toutes ces années, j’ai tout fait pour éviter de donner des médicaments à Karim, traquant ses angoisses, leurs causes et les solutions à apporter pour vivre dans un équilibre précaire, avec des hauts et des bas, plus ou moins haut et plus ou moins bas mais gérables, à la fois pour lui et pour moi (avec un grand merci à mon entourage)…. J’ai toujours su qu’un petit coup de vent pouvait déstabiliser cet équilibre mais c’est une tempête qui est arrivée, avec le confinement… A un moment je me suis dit que si je continuais ainsi, à la fin du confinement, il n’en resterait plus qu’un seul de vivant de nous deux et je ne pouvais pas dire lequel.
Et puis, finalement, on a passé tant bien que mal ces deux mois et le déconfinement est arrivé sans apporter le mot fin sur les problèmes….
Karim avait perdu l’envie et le plaisir de se promener dans les rues. S’il a adopté assez rapidement le port du masque pour lui et les gestes barrière pour aller faire ses courses, il a eu énormément de mal à accepter les précautions conseillées au cours de ses promenades. Du coup, il a préférè rester enfermé à la maison devant sa télévision. Impossible de l’en déloger.
A l’Atelier aussi nous avons du mettre en place un protocole sanitaire, l’équipe portant masques et blouses blanches et il lui est interdit d’y entrer…. Quand à moi je travaillais à l’appartement, à la fois pour qu’il ne soit pas seul et pour respecter le nombre de personnes par mètre carré du protocole…. C’est comme si tout son territoire s’était rétrécit d’un coup….
Une spirale dont je n’arrive pas à sortir
Il refusait de sortir, restait avec ses films en en regardait de plus en plus,ainsi que des extraits qu’il mettait en boucle -ce qui est mauvais signe- . Je sentais bien qu’il était de plus en plus mal, mais quelles solutions apporter ? Le déconfinement, cela n’a pas été la liberté retrouvée, loin de là. Par-dessus, je me suis fait une entorse au genou qui m’a encore plus enfermée moi aussi à l’appartement. Je n’arrivais plus à descendre l’escalier et me déplaçait difficilement avec des béquilles. La violence devenait de plus en plus palpable et réelle et avec mon genou nous ne pouvions plus faire nos combats de sumo souvent salvateurs pour expulser son trop plein d’énergie.
L’achat du DVD chez le buraliste, l’apaisait pour deux heures, le temps du visionnage du film et j’essayais de repousser cette sortie en début d’après-midi pour pacifier la demi-journée et ne pas passer à deux films achetés par jour. Il y avait aussi les courses au monop, coca et kinder bueno…. J’enrageais, mais je ne pouvais rien faire. Juste là aussi en retarder le plus possible l’heure pour qu’il n’y ait pas une seconde demande en fin de journée. Nous étions dans un vrai cercle vicieux dont je n’entrevoyais pas la sortie possible…
il prenait visiblement du poids ce qui était normal, vu ce qu’il mangeait… Et il n’y a plus les quelques kilomètres qu’il faisait par jour et qui apportaient un peu d’équilibre à son surpoids.
J’ai réussi à le faire sortir 2-3 fois avec son copain Arnaud et passer deux trois jours chez ma sœur où il s’est un peu apaisé. Mais tout n’était que de courte durée et je ne voyais pas de solutions à l’horizon….
Une démarche que je n’ai pas aimé faire
J’ai alors consulté un psychiatre qui m’a prescrit des médicaments… « Je vous conseille cette dose et on verra les effets pour ajuster ensuite »… Que dire de plus, je me suis sentie un peu larguée dans un univers que je ne maîtrisais absolument pas, celui des médicaments. J’avoue que je suis restée plusieurs jours sans ouvrir les boites autrement que pour en lire la notice d’emploi…. La longue liste des effets indésirables possibles me paralysait… Mais devant la montée en puissance des épisodes violents et mon absence de capacité à y faire face, j’ai fini par me résoudre à lui donner la dose prescrite….
N’imaginez pas qu’il ait accepté de son plein gré d’avaler un cachet…. A moins d’être vraiment malade comme cela a été avec son bras cassé, il refuse tout ce qui ressemble de près ou de loin à un médicament. Après trois essais qui ont vu les cachets finir à la poubelle ou écrasés sous ses pieds, j’ai enfoui les petits comprimés prescrits dans un carré de sa barre chocolatée préférée en la laissant traîner sur le coin de la table….
L’effet n’a pas été long à venir mais Karim est resté sonné et hébété toute la journée…. Ce n’était pas non plus ce que je désirais…. J’ai réduit un peu la dose le lendemain… Cela allait un peu mieux, mais ce n’était plus lui…. Il était beaucoup plus lent à réagir, sortait encore moins souvent de sa chambre et bien sûr, cela n’a rien changé à ses problèmes de boulimie, ni à son manque d’enthousiasme à sortir…. L’engluement total…
Une porte qui s’ouvre
C’est là qu’Arnaud et son ami Paul m’ont proposé d’emmener Karim avec eux et leurs amis. Il s’agit d’aller Normandie pour participer durant 7 semaines à la préparation et au tournage d’un long métrage… La décision a été prise très rapidement. Je n’ai pas hésité un seul instant pour Karim et pour moi, un peu plus pour eux car savaient-il ce vers quoi ils allaient ?….
Il était entendu que si cela ne se passait pas bien, je venais bien sûr le chercher rapidement.
Karim n’était pas au courant.
Et oui, parce qu’avec lui, je suis toujours confrontée au même problème : s’il est trop informé de choses qui doivent se passer dans le futur, il disjoncte… Son cerveau ne peut pas traiter autant de données incertaines et ça part en vrille. Malgré mes essais réguliers pour lui permettre d’envisager des événements futurs, il ne les accepte que tant qu’ils sont dans un vague lointain… Un jour… L’année prochaine… On pourrait partir…. Mais demain, ce n’est plus possible. S’il voit les bagages, les préparatifs, alors l’angoisse et la violence montent. C’est alors parti pour la spirale qui fait que souvent on ne part pas ou alors dans la douleur.
Allez vider son armoire et préparer des sacs pour 7 semaines d’absence sans qu’il s’en rende compte… Je suis passée maîtresse dans ce genre d’exercices…. La technique de l’arbre qui cache la forêt et celle de la grenouille qu’on ébouillante en montant doucement la température…
En deux jours la valise a été bouclée… J’y ait glissé la boite de médicament au cas où, mais j’ai arrêté de lui en administrer… Cela ne faisait qu’une semaine qu’il en prenait. On a mis les bagages en cachette dans la voiture la veille.
Départ pour la Normandie
Arnaud est venu le chercher pour aller boire un coup, la meilleure proposition pour le faire sortir de la maison. Première étape. Ensuite, il lui a proposé d’amener des affaires à Paul avec la fourgonnette. Karim adore aller dans la fourgonnette avec Arnaud… Jusque là, tout va bien… Il ne sait juste pas que Paul habite en Normandie et qu’il y a 10 heures de route… Il n’a pas la capacité de mesurer ces notions qui l’angoisseraient forcément. Le moment présent, c’est d’être dans la fourgonnette avec Arnaud, et si ce moment dure, c’est autant de plaisir… A midi, il m’appelle : « On n’est pas encore arrivés chez Paul, on mange un pizza »… Il m’appelle le soir « On est arrivé chez Paul, il fait nuit… On mange et je dors dans la caravane »….
Ensuite, il s’est laissé embarqué dans le mouvement, avec Arnaud, Paul, Hélène, Maxime, Thomas et tous les autres. Au téléphone, il m’annonce qu’il reste quelques jours jusqu’à vendredi… Et puis après au vendredi suivant… Puis l’autre, puis jusqu’à la fête…. Il n’a pas pris de médicaments pendant les 7 semaines, a bu de l’eau et n’a pas grignoté… Il a vécu une expérience extraordinaire qui l’a beaucoup apaisé…. Maintenant, il a des amis… et c’est très important pour lui.
L’aventure de la Mauvaisinière est arrivée à point… J’étais acculée au bout de mes limites et voyais s’écrouler tout ce que j’avais difficilement construit pour lui et avec lui. Une nouvelle porte s’est ouverte.
Merci tous les amis de La Garande… Merci la vie….
Je suis tellement émue en te lisant. Pour toi et pour lui. Quelle aventure ! C’est inespéré wha ! Bravo à Karim ! Et encore bravo à toi !
C’est juste miraculeux
Quel bonheur de partager ces moments avec Karim.
La vie est belle. Merci la vie
« Et oui, parce qu’avec lui, je suis toujours confrontée au même problème : s’il est trop informé de choses qui doivent se passer dans le futur, il disjoncte… Son cerveau ne peut pas traiter autant de données incertaines et ça part en vrille. Malgré mes essais réguliers pour lui permettre d’envisager des événements futurs, il ne les accepte que tant qu’ils sont dans un vague lointain… Un jour… L’année prochaine… On pourrait partir…. Mais demain, ce n’est plus possible. S’il voit les bagages, les préparatifs, alors l’angoisse et la violence montent et c’est parti pour la spirale qui fait que souvent on ne part pas ou alors dans la douleur. »… c’est tellement « ça » qui complique considérablement la vie. Cette expérience aura eu en tout cas cela de formidable que Karim était capable de s’adapter à autre chose ailleurs, sans repères solides hormis son accompagnant, et surtout sans vous !
Bravo pour ce nouveau combat…. comme je vous comprends, je connais la solitude d’être maman face à l’autisme. C’est un défi que l’on relève souvent seul quand une personne vous apporte un peu de soutien alors je dis bravo !!!