Sais-tu pourquoi je saute ? ou l’autisme raconté par un adolescent de treize ans vu de l’intérieur.
Naoki Higashida est un adolescent japonais non verbal, diagnostiqué autiste. Il a appris à écrire grâce à une grille alphabétique en désignant les caractères, aidé par un assistant qui se charge de la rédaction. Il tient aujourd’hui un blog et peut être considéré d’ors et déjà comme un écrivain avec ce premier ouvrage «Sais-tu pourquoi je sautes ?», qui explique avec une écriture simple mais poétique le fonctionnement intérieur de ce qu’il nomme « l’autre monde ».
L’autisme en 58 questions
L’ouvrage se présente très simplement sous forme de petits chapitres qui répondent à des questions. Allant des problèmes de communication, au rapport au corps : aux sens, à la douleur, jusqu’au fonctionnement interne.Ces questions permettent le passage d’un monde à un autre. C’est une demande d’explications concernant les comportements dits atypiques. Naoki y répond très simplement, explique ce qui se produit en lui, ce que cela lui procure ou en quoi cela le déstabilise ou le panique. Il conseille enfin avec bienveillance ceux qui peuvent s’y trouver confronter, offrant ses clés d’apaisement, offrant ses réponses qui parfois ne demandent qu’avec gentillesse la bienveillance et la patience.
Exemple : Q11, Pourquoi fuis-tu le contact visuel quand tu parles à quelqu’un ? Naoki répond que pour se concentrer il doit «décrocher» du regard car ses autres sens sont appelés par la voix. Il explique comment il perçoit la voix, c’est à dire qu’il la voit : concrètement.
Cet adolescent montre déjà une grande maturité dans sa compréhension du monde, de sa différence et il l’assume avec humilité et sans plainte. Il possède déjà une grande compréhension de ceux qui ne peuvent accéder «à l’intérieur» et ouvre ici une porte entre les deux mondes en donnant ses explications et son mode d’emploi.Autre exemple :
Q5 Pourquoi fais-tu des choses qu’on t’a répété mille fois de ne pas faire ? A cela Naoki demande la bienveillance et s’explique : il ne s’agit pas de volonté de sa part. Il insiste sur l’importance de la patience de ceux qui l’entoure qui lui permet de le rendre plus fort et d’être en sécurité.
Une porte vers l’enfance
Naoki est encore un adolescent. Comme l’explique David Mitchell, un Irlandais parent d’un enfant autiste, qui introduit le livre, il est encore proche de cet univers. La plupart des ouvrages écrits par des autistes qui ne peuvent communiquer, sont produits à l’âge adulte, déjà loin par le souvenir et par le temps du fonctionnement des enfants.
David Mitchell explique comment cet ouvrage lui a enfin permis de comprendre son enfant et de l’aider à l’accompagner. On ressent un infini soulagement et une grande reconnaissance.De nombreuses choses se jouent durant l’enfance concernant le développement.
La compréhension de cette différence parait essentielle pour un parent ou un aidant afin d’être aux côtés d’une personne autiste qui grandit. La différence à l’âge adulte et tous les écrits et vécus apportés en témoignent. Cet ouvrage est un manuel, même si chaque forme de spectre autistique est différente, il est possible d’y piocher et de trouver ses propres clés
Un imaginaire foisonnant «l’autre monde»
Au delà de son aspect «manuel», l’oeuvre de Naoki va plus loin. Ses explications concernant ses réactions appellent à un imaginaire, à des ressentis intenses, à des images. Il compare les sensibilités, raconte la sienne. Son humour, son besoin de solitude pour vivre ses émotions, les images qui peuvent lui venir, ses chagrins et ses évitements. L’oeuvre, en pointillés, laisse place à des histoires qu’il a inventé, des moments de poésie.
On est surpris de par son âge et du fait qu’il ne parle pas, d’une maîtrise qu’on peut nommer prodigieuse de la langue ainsi que de la narration. Qu’il explique ou qu’il invente, il présente un univers : celui des autistes, et le sien. Un univers dense et complexe, imagé et qui ne demande qu’une chose être accepté et compris : c’est réussi et c’est aussi une prise de conscience providentiell