Et nous voilà, comme toutes les quelques années, Karim et moi au pied du mur…. Aller chez le dentiste…. Jusqu’à aujourd’hui, chaque intervention donnait lieu à une hospitalisation et une anesthésie générale.
Le passif médical de Karim est lourd et malgré sa santé robuste (ouf) le SBB plane toujours au-dessus de nous, comme une épée de Damoclès. Le SBB ? Le syndrôme de la Blouse Blanche. Et bien sûr, aller chez le dentiste fait partie de ces expériences traumatisantes restées gravées pour lui dans la mémoire du corps.
Oh, il ne s’agit pas d’aller chez le dentiste… Je n’ose même pas l’envisager. J’ai essayé quelques approches, sans grand succès…. A peine ai-je gagné la bataille d’arriver jusqu’à la salle d’attente, par deux fois…. alors, monter sur le fauteuil, ouvrir la bouche et se laisser regarder les dents, cela devient du rêve…..
Quelques essais
J’avais presque réussi chez une dentiste amie, mais il balaya de panique tous les instruments sagement alignés sur le plateau…. On a craint pour le fauteuil, et on n’a plus recommencé…. Jusqu’à présent, les soins dentaires de Karim se sont passés à l’hôpital, sous anesthésie générale, et ils se sont passés plutôt mal que bien…. Parce que j’ai eu beau expliquer Karim son autisme et sa phobie de la Blouse Blanche aux infirmières, à l’anesthésiste, au médecin….. j’ai plutôt eu l’air de passer pour une mère anxieuse, surprotectrice et encombrante.…
Karim a toujours l’air très calme, comme cela, tant qu’on ne fait que parler…. Il y a juste moi pour percevoir les signes avant-coureurs, la sueur qui perle dans la paume de ses mains, la panique paralysante.… Le calme avant la tempête…Jusqu’à l’intervention…. Jusqu’à ce qu’on lui dise que c’est son tour…. Et là, c’est la déferlante… Les cris de cochon qu’on égorge, la force surhumaine à se débattre au point qu’il faut le sangler sur le lit pour l’amener à la salle d’opération hurlant son angoisse dans les couloirs du service…
Alors voilà, depuis quelque temps je savais que le temps du dentiste était revenu… Et avec lui, le temps des angoisses. Tout recommencer à expliquer à un médecin, à des infirmières, à l’anesthésiste, qui bien sûr ne sont plus les mêmes…. avec l’angoisse qu’une nouvelle fois, cela se passe mal….
Et j’ai découvert le Réseau Handident. Et j’ai découvert que j’avais la chance qu’il y en existe un en Alsace à 25 kilomètres de chez moi.
LE Réseau Handident, qu’est ce que c’est ?
Si en Alsace le réseau de soin bucco-dentaire porte le nom d’Handident, nom de l’association porteuse du projet, il existe d’autres réseaux couvrant le territoire français. Issue du site de l’ordre des chirurgiens dentistes voici la liste des principaux réseaux de soins buco-dentaires en France.
Cela fait maintenant une quinzaine d’années que les réseaux régionaux se créent, répondant à un besoin réel d’une prise en charge adaptée pour les personnes en situation de handicap. Jusque là, la principale réponse aux douleurs dentaires des personnes handicapées mentales était l’extraction. Celle ci est souvent faite en urgence, aboutissant à une édentation précoce.Cela ne fait qu’augmenter le handicap d’un préjudice esthétique, facteur supplémentaire d’isolement social. Le handicap est une entrave à l’accession aux soins dentaires.
Dans les différentes régions, les équipes des réseaux sont formées à un travail comportemental pour gérer la phobie du soin, les réactions imprédictibles des enfants avec l’aide des accompagnants. La prise en charge s’adapte à chaque cas. La sédation consciente (MEOPA) peut être utilisée pour réduire l’anxiété, mais d’autres formes d’anesthésie peuvent aussi être envisagées si cela s’avère nécessaire.
Pour Karim, pour la première fois depuis…. jamais, cela s’est bien passé. Plusieurs facteurs y ont contribué. Tout d’abord le savoir faire et la disponibilité de l’équipe soignante. Ensuite, nous l’avons accompagné dans sa gestion du stress durant le mois et demi entre la visite d’évaluation des soins et l’intervention en elle-même. (Malgré des caries, il n’avait pas de douleurs dentaires).
Les différents aspects que nous avons apporté à l’aide à la gestion du stress.
- Dans cette démarche de soins, Karim n’a pas été accompagné par moi, mais par sa soeur. Elle n’a pas le même passif que moi concernant le rapport aux soignants et n’a pas non plus le même rapport avec Karim, c’est la grande soeur, pas la maman.
- Ce qui a changé par rapport à la dernière fois, c’est qu’il a acquis du vocabulaire et qu’il peut mettre des mots sur ses angoisses. Il peut dire, j’ai peur de…., On peut lui dire qu’on a tous un peu peur du dentiste, qu’il est adulte et que déjà avoir été au premier rendez-vous pour le diagnostic (tu ouvres la bouche, le dentiste regarde et c’est fini….il ne te fera rien d’autre)….est signe qu’il est adulte (C’est ce qu’il souhaite le plus, être considéré comme un adulte)
- A partir de la visite d’évaluation, il ne s’est pas passé une journée sans que Karim ne parle de cette future intervention. Et on peut le rassurer. C’est juste une piqûre au bras et après tu ne sentiras rien. Bien sûr, il s’énerve…. Fait mourir le dentiste, exploser le cabinet, façon d’exprimer ses angoisses….
- Laisser le temps ouvert aussi. Il ne supporte pas les échéances précises qui se rapprochent et augmentent ses angoisses…..C’est bientôt, mais pas dans deux semaines, puis une, puis trois jours…. Bientôt, ça reste vague et ce vague est loin pour lui….
- Tout l’entourage l’a soutenu…. Waouh ! super…. T’es un adulte responsable…. On ne le laisse pas basculer dans sa spirale de soliloquie..
- Et puis la carotte…. Karim est un collectionneur de DVD et là, ça vaut bien un coffret…
Et puis, c’est le jour J…. Rendez-vous à 15 heures, à jeun depuis 9 heures. Facile à dire….
- Le réveiller pour qu’il ait le temps de manger avant 9 heures ?…. Facile à penser, mais s’il se lève du pied gauche, c’est mal parti…
- Le presser à se laver et se brosser les dents pour quitter au plus vite la maison pour qu’il ne cède pas à l’envie de boire ou de manger ? Le presser sans le brusquer parce que si on le brusque, il se braque et c’est parti dans la spirale de panique violente
- Rester calme face aux quart d’heures qui s’écoulent, faire comme si ce n’était pas important, car il est le fusible de nos angoisses….
- Lui annoncer que c’est aujourd’hui qu’il faut qu’il parte avec sa sœur (parce que si on lui avait annoncé hier, il avait toute la nuit pour angoisser et la probabilité qu’il accepte de partir s’amenuisait proportionnellement au temps d’angoisse)
- Saisir la moindre faille dans sa réaction d’angoisse pour s’y glisser avec les mots d’encouragements, le « comme ça c’est fait » magique…..
- Passé 9 heures, ne pas le laisser seul pour être sûr qu’il soit bien à jeun….
Il est 11 h passé quand l’éclaircie se fait et qu’avec les encouragements de tous, il se décide à partir avec sa sœur…. Le plus gros est fait (ou presque) QUITTER LA MAISON. On est un peu épuisées des trois heures de négociation.
Après, merci à sa sœur pour l’avoir accompagné, encouragé à franchir la porte de la clinique, la porte de la salle d’attente, la porte de la salle de soin… De lui avoir tenu la main pour l’anesthésie…. D’avoir été là à son réveil….
Pour la première fois depuis toujours, les soins dentaires se sont bien déroulés. Pour Karim, c’est une victoire…. Pour nous un grand soulagement, même si la matinée a été éprouvante, même si le mois passé a été tumultueux…. Nous avons pu l’aider à surmonter sa peur et ses angoisses liées à son autisme ainsi qu’au SBB
Et le lendemain, c’est tout fier et tout heureux qu’il est allé à la FNAC se choisir un coffret de DVD….
Pingback: Autisme et soins (COMPTE RENDU Part. 1) |
Bravo, il faut continuer et je souhaite une bonne continuation a Karim!