Université et autisme : A Strasbourg, Elise a ouvert la voie

université-autisme

Il faut tout un village pour élever un enfant, d’autant plus s’il est autiste. Il faut aussi des alliés, et des sacrés, pour réussir ses études universitaires, et ce encore plus, lorsqu’on est autiste. 

manuscrit -medieval-Elise-EberlinÉlise Eberlin, belle et sympathique jeune femme de 28 ans, a brillé par son mémoire de Master, en septembre 2022, sur les pratiques médiévales de l’écrit en Alsace, aux XIVe et XVe siècle. Elle s’est intéressé plus particulièrement au Livre des bannissements de Strasbourg. Elise a cumulé les bons points : 20/20, mention Excellent, félicitations pour l’enrichissement de la discipline et une découverte majeure, celle d’un premier manuscrit, une première version du Livre des bannissements, grâce à ses connaissances en codicologie.

Elle tire, en plus, du registre municipal, un florilège d’anecdotes, sur tel prêtre travesti en femme qui hurle la nuit, dans Strasbourg, et s’en fait sortir… au même titre que le tueur d’un joueur de luth ! 

Grâce à son intérêt restreint pour la paléographie locale, dont sa connaissance du moyen-haut allemand et du latin médiéval, Elise a « performé ».  Ses grandes capacités intellectuelles et son entourage y sont aussi pour beaucoup. Elise a été diagnostiquée THPQI, soit très haut potentiel de quotient intellectuel. Elle est aussi sujette de TDAHM,  (Troubles de l’attention et d’hyperactivité mentale), ce qui se traduit par un flot incessant de pensées.

 

Effondrement autistique

 

Elise Eberlin À 16 ans, Élise subit un effondrement autistique. Elle est au bout du rouleau, épuisée. Suradaptée, en constante tentative de décodage des usages sociaux, malgré sa « poker face » imitant ses semblables autant que possible, elle craque. « Je n’arrivais pas à répondre aux attentes de ma famille, notamment, qui voulait que je sois dans la norme. Je me bagarrais, bricolais : rien de bien féminin, d’après eux. Et puis, toujours selon eux, je pouvais le faire, je pouvais tout faire, alors, si je n’y arrivais pas, en temps et en heure, je redoublais d’efforts… et j’étais encore plus fatiguée », précise, entre autres, Élise.

Les médecins croient à une hypersensibilité, une phobie sociale et une dépression… Tous, sauf un ! Le psychiatre libéral Pierre Laplace, qui la diagnostique, alors qu’elle commence à se reconnaître dans le livre de Julie Dachez : Autisme au féminin. Mais son autisme n’est pas officiellement attesté, à cette heure.

Élise passe son baccalauréat (section internationale anglaise, avec options allemand, chinois, russe, latin, grec ancien – elle a une disposition pour les langues, dit-elle), joue au basket, devient cheftaine scout. C’est qu’elle a une vie sociale dense, en plus d’être une tête. Élise admet, tout de même, ne pas s’être totalement remise de ce qui s’apparente à un burn out. Pas n’importe quel burn out : un burn out pour les autistes qui essaient de vivre comme la majorité des gens et non selon leurs propres besoins. 

 

Service de santé universitaire

 

manuscrit médiéval-Elise EberlinSes six ans de parcours universitaire (de 2016 à 2022), en fac d’histoire, sont éprouvants, même si, en 2018, elle bénéficie enfin d’aménagements. Plus les années passent, plus les directives de ses enseignants sont floues. Plus Élise a de liberté, plus elle creuse son sujet à fond, touchant à l’exhaustivité. Épuisant ! Heureusement, son compagnon Cédric Lotz, cordiste (travail en hauteur) a fait les mêmes études qu’elle, dix ans auparavant. Qui se ressemble, s’assemble, surtout pour les autistes, qui développent un intérêt restreint. Cedric la stoppe, les soirs, grise et lessivée, pour qu’ils partagent la soupe et se reposent.

Mais Élise continue tout de même, parfois, à traduire du latin, dans son sommeil. Les médicaments pour lui permettre de déconnecter la shootent complètement. Elle tire souvent sur la corde, de son propre aveu. Il faut ajouter à cela… la fac ! Le cauchemar sensoriel… Les amphis sont plein d’étudiants qui, heureusement, se brossent les dents. Pour Elise ce n’est pas un détail puisqu’elle peut reconnaître jusqu’à six odeurs de dentifrice différentes, à portée de nez.

Néons qui grésillent, voisins qui papotent, trajets à vélo dans la pénombre hivernale, éblouie par le halo d’un feu rouge : elle est au bord de la rupture, en 2016. C’est sa première année d’études. Les efforts sont permanents pour faire abstraction de ce qui assaille ses sens. Elle pousse donc la porte du service de santé universitaire (SSU).

 

Equipe mobile autisme

 

Au SSU, Élise rencontre Julie Rigaut, quadra dynamique et engagée. Médecin généraliste, spécialiste de la prévention, « Par affinité, je m’occupe des troubles du spectre autistique. La relation avec Élise a été aussi enrichissante pour elle que pour moi. On a découvert ensemble, quasiment, ce que c’est l’autisme et sa manière, à elle, de fonctionner. Quand le Centre de ressource autisme (CRA), chargé de reconnaître le handicap, n’a pas voulu conclure pour Élise, son psy a tapé du poing sur la table.

Après, j’ai accompagné Élise dans son cursus universitaire. On a travaillé sur ses peurs, ses angoisses, et elle a été suivie par l’Equipe mobile autisme (EMA). C’était une prise en charge de douze à 18 mois », explique Julie Rigaut, une des cinq médecins de l’université. Il lui est possible, aujourd’hui, de rectifier des aménagements en moins de 48 heures, pour les étudiants handicapés. Elle reçoit aussi volontiers leurs parents. 

La médecin prescrit des conditions d’études (casque antibruit) et d’examens adaptées – dans une salle à part, avec un temps majoré et une explication des consignes pour Élise -. Julie Rigaut finit par convoquer le directeur de mémoire d’Elise qui ne se doutait de rien. La jeune femme donnait tant le change, jusqu’à ce qu’elle faillisse abandonner ses recherches, faute de cadre précis.

 

Atrypical

 

Atrypical-association-logoMatthieu Hiltenbrand, éducateur spécialisé à l’EMA, aide, lui, Élise dans son quotidien. Pour une recherche de logement ou dans le cadre des relations humaines, notamment lorsqu’elle se met en couple avec Cédric. « Élise est une des premières personnes qu’on a suivies à l’EMA. C’étaient les tout débuts du dispositif.

Son cas est particulier, puisque le CRA nous a demandé de l’observer, de l’évaluer, pour établir son diagnostic. L’autisme était flagrant. Finalement, au total, je l’ai suivie quatre ans. Elle a eu de la chance, parce que je pouvais la voir toutes les semaines. »

« Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Je dois créer le réseau (notamment composé d’assistants sociaux), autour d’une douzaine d’autistes, et ce, continuellement. Il n’y a pas de temps plus calme. Nous n’avons pas assez de moyens. Nous sommes moins de dix salariés à l’EMA.

Parfois, il y a deux ans d’attente, avant une prise en charge. Quand les personnes arrivent, elles sont déjà en rupture ! », dévoile le quadragénaire. Il est, par ailleurs, fondateur de l’association Atrypical. L’association  récolte des fonds (grâce au sport) pour des projets en faveur de personnes atteintes de troubles du neurodéveloppement. Grâce à Atrypical, Élise a suivi des cours pour passer un CAP reliures et restauration de livres anciens.

 

De petite à grande sœur 

 

Chat Karim TATAI Strasbourg« Il y a sept ans, Élise était la seule, se souvient Julie Rigaut. Aujourd’hui, ils sont 70 étudiants par an, sur 60 000 que nous suivons, à venir toquer à ma porte pour bénéficier de conditions d’études adaptées à leurs troubles autistiques. Deux étudiants en psychologie sont payés, par ailleurs, pour soutenir leurs pairs autistes dans leurs démarches administratives, par rapport à la fac, notamment, dans le cadre de la Mission handicap. Élise est un peu la grande sœur des jeunes étudiants autistes d’aujourd’hui.

Elle leur a ouvert la voie. Les profs sont plus sensibilisés. » Et les acteurs médicaux-sociaux aussi. Julie a, d’ailleurs, obtenu, après sa rencontre avec Élise, son diplôme universitaire (DU) pour diagnostiquer les troubles autistiques. Elle n’a plus besoin d’attendre la reconnaissance du CRA pour mettre en place les mesures pour les étudiants handicapés. Elle a passé l’examen, avant le Covid, en 2020. 

Pour Élise, le confinement avait été le bienvenu, d’ailleurs ! Enfin, elle a eu les mêmes chances que la majorité des étudiants, profitant du calme de son cocon strasbourgeois, de son appartement, sous pentes, avec ses plantes, ses tisanes, ses cookies, son amoureux et son chat, Merlin, pour étudier à son aise. Chez elle, tout n’est que douceur, calme, câlins et chaleur. Contrairement à ses camarades déroutés par l’isolement, Élise a profité de ce cadre pour se reposer et continue, aujourd’hui, à proposer des réunions en visio, lorsqu’elle se sent faiblir. 

 

Rêves de bulles

 

bulles-Karim-TATAI-StrasbourgBardée de ses diplômes, Élise travaille, depuis plusieurs mois, à la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg (BNUS). À temps plein. Trop, estime Matthieu, aussi titulaire d’un DU autisme, qui espère qu’elle prenne vite, d’elle-même, en compte sa fatigabilité. Élise a une RQTH (reconnaissance de travailleur handicapé) mais elle persiste à vouloir en faire autant que les autres. En apparence seulement, alors qu’à travail égal, elle s’investit, bien sûr, beaucoup plus, rien que pour supporter l’éclairage de la bibliothèque, par exemple…

« Elle a besoin d’expérimenter », conclut Matthieu, serein mais conscient qu’elle peut tomber et s’abîmer. L’association Rêves de bulles a pris le relais pour accompagner Élise, niveau professionnel. La jeune active souhaite prouver que l’autisme – donc, sentir, penser et organiser différemment de la majorité -, peut être un atout en entreprise, dans un service public ou pour une collectivité. 

Élise est hyper émotive et elle a un faible pour les « choses et les êtres cassés ». « L’injustice me révolte. Et comme beaucoup d’autistes, il ne me vient jamais spontanément à l’idée d’envisager les choses sous l’angle du calcul, de la manipulation ou de la méchanceté, ni chez moi, ni chez les autres. Je n’arrive même pas à concevoir que l’on puisse être malintentionné.

D’ailleurs, heureusement qu’une agente SNCF est intervenue, il y a quelques années, sinon un homme m’aurait embarquée, dans une gare, un soir où j’étais seule, perdue et en complète surcharge autistique. Comme toutes les femmes handicapées, j’ai été encore plus confrontée aux tentatives d’escroquerie, violences ou agressions verbales et physiques, dont sexuelles, que la moyenne de la gente féminine », insiste-t-elle.

 

Ressentir fort, s’exprimer différemment

 

 

Élise tient à ajouter, en guise de conclusion : « Il est temps aussi de changer notre perception de l’autisme et des émotions que vivent les personnes concernées. Cela devient urgent de briser certains clichés, qui s’avèrent souvent aussi faux que douloureux à entendre. Il y a, par exemple, une sorte de spontanéité candide propre à l’autisme, qui peut être parfois un peu désarmante à constater. C’est vrai.

Mais il y a aussi une empathie profonde pour les gens et les choses que l’on n’a pas l’habitude d’attacher à cette condition. La personne autiste ne ressent pas moins fort, elle s’exprime juste différemment. Demandez à mon compagnon quel cœur d’artichaut je peux être, c’est une catastrophe ! » .

Élise associe une couleur aux personnes. Son compagnon est bleu, jaune et rouge : couleurs primaires… pour besoins primaires ? Ils retapent une maison alsacienne du Moyen-Age, actuellement. Élise continue de travailler à son intérêt restreint, hors cadre, en prenant son temps.

 

Anne Frintz 

Commentaires (2)

  1. Lionel L.

    Super article, merci pour avoir relaté l’histoire d’Elise que je viens de découvrir.

    Répondre
  2. FRINTZ

    Bel article

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.