Comme beaucoup de personnes autistes, Karim remarque les petits détails que les autres ne voient pas. Cela transparait parfois dans ses photos et souvent, ce qui l’a interpelé se trouve au centre de la photo.
Je vous relate ce qui s’est passé aujourd’hui, pour vous montrer comment un petit détail peut tout à coup prendre une telle importance qu’il vous bouffe toute la journée.
Un intérêt restreint envahissant
Vous connaissez l’intérêt restreint de Karim pour ses DVD qui s’accumulent par centaine dans ses étagères avec souvent plusieurs exemplaires du même film. Depuis le covid, Karim en achète un d’occasion par jour, alors, forcément, à raison de près de 400 DVD par an, il lui faudrait une nouvelle étagère chaque année. Or, il n’y a plus de place dans sa chambre.
Comme il ne veut pas se séparer d’aucun, depuis le covid moi aussi, je subtilise régulièrement quelques DVD surnuméraires en prenant soin de suivre quelques règles
- ne pas enlever les derniers achetés
- ne pas laisser de trous béants dans l’alignement
- enlever vraiment ceux qui se ressemblent
C’est ce que j’ai fait hier pendant son absence, remplissant un sac IKEA entier de DVD qui vont retrouver le magasin où il a l’habitude de les acheter. Dans un mois, ils seront tous à nouveau à la maison, mais l’espace vital de l’appartement reste sauf… Karim intrinsèquement sait que je le fais, mais cela doit rester dans le non-dit et le non-vu qui permettent un certain équilibre entre nous.
Il manque un DVD
Quand il est descendu me dire qu’il ne trouvait plus un DVD et que je l’avais pris, je suis un peu tombée des nues. Il ne m’accusait pas d’avoir fait un vide dans ses étagères, mais d’avoir pris un DVD…-
- « Lequel ? »
- « Celui de père et sa fille qui dit : « Accordé » »
- Je ne vois absolument pas de quel DVD il parle. « Je n’ai pas pris ce DVD Karim, tu as dû mal le ranger… » » Tu viens d’acheter Wonka, regardes-le… »
Il remonte dans sa chambre et revient plus tard, agité… « Je trouve pas le DVD, tu l’as prêté à ta copine » (Une amie est passée dans l’après-midi me dire bonjour)
- « C’est ça, je l’ai prêté à ma copine »
- « Elle le ramène quand ? »
- « Demain après mangé »
Discussion close pour moi ! Histoire aussi de laisser du temps passer. Lui apprendre à savoir attendre, à ne pas tout avoir tout de suite.
Mais je sens bien que ce DVD absent le perturbe. Montée à l’appartement, je lui demande de me montrer quel »petit frère » manque. C’est Oscar, avec Louis de Funès. Effectivement une histoire du père avec sa fille. « Mais tu en a trois Karim, tu n’as qu’à regardé celui-là » dis-je en lui montrant un des trois exemplaires. « Non, c’est pas celui où il y a le feutre noir »…
il revient sur le sujet. « Elle vient quand ta copine ? » T’es sûre qu’elle va le ramener ? Pourquoi tu lui a prêté ?
Il est perturbé, mais comme je lui assure que ma copine va lui ramener demain, il finit par aller se coucher…
Le lendemain
Le lendemain, je retire Oscar du sac. Je n’y voit pas spécialement de feutre noir, mais comme c’est le seul que j’ai subtilisé, cela doit-être le bon… Je vais attendre le début d’après-midi pour lui redonner…
Quand il se lève, ses premières questions sont sur la venue de ma copine… « A quelle heure ? Où est-elle ? » Et puis, « on est midi » « Non, Karim, c’est le matin, elle vient après manger. Il monte à l’appart, redescend, demande si on mange bientôt à plusieurs reprises, prend son téléphone pour parler du DVD à un interlocuteur imaginaire…
Il ne fait rien de la matinée à part attendre, sans violence et sans trop d’énervement, simplement en me collant heure après heure. Plutôt fébrile…
De le voir tourner en rond dans mes pattes, je n’ai finalement pas attendu l’après-midi. A 11 h, j’ai cédé… J’ai profité qu’il soit remonté une énième fois chercher le petit frère pour sortir le DVD. Quand il redescend, dès qu’il le voit, il pousse un long soupir de soulagement…. « Ah ouuuuuiiii ! C’est celui là…. Ouf…. »
La tension se dégonfle, l’atmosphère se détend…. Je lui dit que son DVD n’a pas de trait de feutre noir.. Et là, il me montre l’étiquette de prix dans le bas du DVD avec un tout petit trait au feutre noir de 8 mm de long pour cacher l’ancien prix.
Mais un petit trait qui l’avait empêcher de vaquer sereinement à ses occupations quotidienne et qui par ricochet a perturbé ma soirée et ma matinée…
Conclusion
La prochaine fois, je vérifierai qu’il n’y a ni traits, ni points…. Mais peut-être y aura-t-il un petit quelque chose que je n’aurai à nouveau pas vu.
Des petits riens, pour nous insignifiants, peuvent ainsi perturber le quotidien de nos enfants, adolescents ou adultes autistes et parfois mener à ces crises de violence que nous redoutons.
En tout cas, Karim a pu enfin regarder le film Oscar qu’il souhaitait, celui avec le petit trait de feutre ! Et il a retrouvé le sourire