Je n’ai jamais, pendant des années entendu le mot autisme quant à un diagnostic sur ce qu’avait mon fils. D’ailleurs, je n’ai jamais eu vraiment aucun diagnostic, dit entre quatre yeux….
Pour moi, l’autisme, c’était des enfants qui ne parlaient pas, se balançaient toute la journée, qui fuyaient votre regard. Karim ne correspondait pas vraiment à l’image que je me faisais de l’autisme. Maintenant on parle plus de TSA, trouble du spectre autistique et de TED Troubles envahissants du développement.
La première fois que j’ai pensé à l’autisme pour Karim, c’est en regardant le film Rain Man en 1988. Premiers soupçons
Non que Karim ait été capable de compter les allumettes tombées d’une boîte, ni d’apprendre l’annuaire, loin de là. D’ailleurs Charlie ne lit pas l’annuaire, il en photographie les pages avec sa mémoire photographique. Mais à certains tons pris par l’acteur Dustin Hoffmann quand il parlait, j’y retrouvais un peu de Karim. A cette époque là, Karim s’exprimait exactement de la même façon que Rayman quand il dit « Hein, hein, le caleçon est sur la route »…. Le besoin aussi de revoir toujours les mêmes films ou les mêmes extraits de films regardés en boucle, ses colères brutales et sans causes apparentes…..
Je n’ai jamais éprouvé non plus le besoin après les toutes premières années de savoir ce qu’avait exactement Karim. Ses premières années d’hospitalisation ont créé chez lui sa plus grande phobie, celle de la blouse blanche et du milieu médical. Il était possible de lui faire un vaccin dans la salle d’attente en enlevant la blouse blanche. Par contre il était impossible de le peser de le mesurer dès que la pièce avait l’aspect d’un lieu médical. Rien qu’à l’énoncée d’aller chez le médecin, ses paumes suintent la peur.
Pour les psy, il avait trouvé lui-même la solution. Il piquait des colères monumentales, sur le chemin ou au pied de l’escalier qui nous faisaient arriver en retard, épuisés, certes, mais surtout la plupart du temps, juste pour payer la séance manquée…
Robuste malgré des débuts difficiles
La chance a été qu’après ses première années d’hospitalisation, Karim a été plutôt d’une santé robuste. Les quelques obligations médicales ont été si traumatisantes pour lui que nous avons évité chaque fois qu’il en était possible l’intervention du corps médical. Le médecin de famille que nous appelions le « docteur chocolat » était pratiquement le seul médecin dont Karim se laissait approché. Mais là aussi, un médecin sans blouse blanche qui distribue des pépite de chocolat. Il les lancent en l’air pour les rattraper dans sa bouche. Cela fascinait les enfants. Et un médecin qui se met à quatre pattes pour vous faire entendre avec le stéthoscope le cœur de votre frère, ça ne se trouve pas tous les jours. Merci « docteur chocolat ».
Diagnostic
C’est lors de sa dernière année au Centre Médico Educatif que j’acceptais de faire faire des tests à Karim. Devant l’insistance du corps enseignant et médical du centre pour médicamenter Karim afin de calmer ses angoisses, j’ai cédé, pour mettre un nom sur son handicap. Pour la première fois on prononça le mot autiste à propos de mon fils, avec une déception visible chez le psy que ce ne soit pas un Asperger. Perso, je m’en doutait bien…. Et je ne parle pas de la gêne de la psychologue me donnant les résultat du test de QI. « Vous savez, les chiffres ne veulent rien dire…. ». si ça ne veut rien dire, pourquoi on le fait alors ?
Cela n’a pas vraiment changé quelque chose dans notre vie, et à la fois si. J’ai fait autrement. En lisant quelques livres d’autistes, et non sur les autistes, cela m’a donné quelques pistes pour mieux comprendre Karim et l’accompagner dans son désir d’existence.
Un autre point de vue
Mais ma meilleure aide a été lorsque Karim était en internat, de commencer des études de sociologie et d’ethnologie. Ces cinq années m’ont permis de grandir et de regarder mon fils autrement. Nous avons toujours tendance à penser l’autre comme un autre soi-même, de penser qu’il voit, qu’il entend, qu’il ressent de la même façon que nous parce que c’est quelque part la seule expérience que nous avons de l’existence et il n’est pas commun d’échanger avec d’autres sur la façon de percevoir le monde avec ses sens….
L’ethnologie m’a permis de relativiser. J’ai essayé de penser Karim comme s’il était le dernier descendant d’une société éteinte, perdu dans notre société et n’en comprenant pas les codes… Cela m’a donné de multiples pistes qui j’explore chaque jour et devant les progrès de Karim je ne peux que me féliciter d’avoir choisi l’ethnologie et non la psychologie.
Vivre avec
Parce que 17 ans en centre spécialisé laisse des traces, Certes, ils protègent nos enfants en leur permettant de progresser à leur rythme. Mais ils les isolent aussi du monde du dehors pour lequel ils deviennent de plus en plus inadaptés. Ils n’ont pas la possibilité d’en apprendre les règles intrinsèques qui semblent couler de source pour nous. A la déficience d’origine s’ajoute un handicap social et ce, malgré toutes les bonnes intentions des intervenants sociaux et médicaux.
Karim, en refusant son affectation en « occupationnel » m’a mise au pied du mur mais je ne le regrette pas. Bien sûr cela a été dur, parfois très, très dur et plusieurs fois j’ai voulu abandonner, de lassitude, de fatigue… Lors de l’exposition « Des machines et des hommes », pendant la préparation, Karim démontait violemment tout ce que je faisais. Il rangeait dès que je les sortais les photos dans les placards avec rage au point que j’ai failli tout arrêter. Je le lui dit. Il m’a pris par les épaules, m’a regardé dans les yeux et m’a dit « tu ne peux pas faire ça, j’en ai trop besoin »….
En conclusion
Alors, c’est vrai que dans le comportement autistique de Karim, sa pensée différence au quotidien, c’est dur. Mais chaque jour qui passe lui ouvre un peu plus le monde et j’essaye de l’accompagner dans cette découverte.
Savoir ce que l’on a rassure, mais cela enferme aussi…. Comment trouver le juste milieu qui permet d’avancer ?