Comment la photo a changé la vie de Karim

Comment la photographie a changé la vie de Karim et par conséquent comment la photo a changé notre vie.

En 2009, à 23 ans, après 17 ans passés en hôpital de jour et en centres spécialisés, Karim a rencontré la photographie. Une rencontre comme un cadeau qui devait changer le cours de notre vie….

Déjà, plus jeune, il avait demandé à plusieurs reprises un appareil photo et nous lui achetions de temps à autre des appareils jetables alors à la mode puisque le numérique n’existait pas encore. Comme il prenait les 24 poses en 5 mn et que le développement coûtait cher, les films finissaient à la poubelle sans remords.

Karim TATAI photographe StrasbourgLors d’un séjour de quatre jours à Venise, avec un voyage aux débuts apocalyptiques que je vous raconterai un jour – car alors Karim ne supportait pas de quitter la maison et les espaces connus- il a demandé un appareil photo pour imiter les amis photographes avec qui nous partagions le logement. J’ai acheté dans un bureau de tabac un petit appareil photo numérique et une carte mémoire… Karim a mitraillé la ville pendant quatre jours, prenant 3200 photos.

Mes amis photographes amateurs très bien équipés avaient amené leur ordinateur pour vider les cartes SD et le premier soir, en vidant la carte de Karim qui était saturée, mon ami s’exclama « Punaise, mais il y en a de sacrement bonnes dedans ». Ce qui me fit me pencher sur les prises de vues défilant sur l’ordinateur.

Cala me permis de voir ce qui attirait le regard de Karim dans la rue, de constater sa façon de voir le monde par les détails. Son oeil, prolongé par l’appareil photo, regarde dans tous les sens. Le sol, les murs, le ciel, les toits, le sol, les murs, le ciel, les toits….. Il y a de tout, la signalétique, les papiers qui traînent par terre, les graffitis, les vitrines, les pigeons, les canaux, les escaliers, la lagune, les bateaux, les pontons, les costumés, les carnavaliers…. Mon ami m’indique les photos « intéressantes », me parlait de cadrage, de lumière….

Pour Karim, depuis, la photographie est une façon de s’approprier le monde qui l’entoure.

Il peut regarder à travers l’appareil, celui-ci le protège…. La photographie correspond au fonctionnement de sa mémoire qui comme je l’apprendrai plus tard en lisant le livre de Temple Grandin, Penser en image, Karim pense en partie en images. Ce fut une grande découverte pour moi et cela m’expliquait pas mal de comportement¨s de Karim.

Regard Brut sur Venise Karim TATAI StrasbourgEn quatre jours, Karim a pris 3200 photos que je triais au retour de Venise.

Certes, cela aurait pu en rester là, Karim prenant des photos…. C’est une de mes amies aujourd’hui disparue qui eut l’idée de la première exposition. Se servir des photos de Karim pour essayer de changer le regard de son entourage (parents, voisins, personnes du quartier le croisant dans la rue) sur lui. Ce fut le but de la première exposition Regard brut sur Venise, exposition qui eut lieu au Centre Socio-Culturel de notre quartier...Pendant le vernissage, Karim était transfiguré, heureux.… Article dans le journal, reportage FR3, dans la rue, on commençait à lui adresser la parole « Elles sont belles tes photos »…..

des machines et des hommes-exposition-photo-Karim TATAI-StrasbourgEn 2010, il y a eu de très gros travaux dans notre rue, pendant neuf mois. Et pendant 9 mois, Karim a arpenté la rue et le chantier en prenant des photos. 18000, que je triais….Et une exposition qui liait le quartier autour d’un évènement important, un nouveau cadre de vie…. L’occasion de monter une seconde exposition….

Dans le quartier, son comportement fait moins peur. il n’est plus celui qui crie dans la rue après les bus, mais celui qui prend des photos. On lui demande « C’est quand, ta prochaine exposition ? »… Il échange quelques mots avec des commerçants. Et l’on me demande « s’il parle de ça ou ça, qu’est ce que je dois répondre ? » je ne comprends pas tout ce qu’il raconte, qu’est ce que je dois dire »…. Il fait partie de sa rue, de son quartier et un peu de sa ville, car il agrandit ses cercles d’exploration.

K love exposition Karim TATAI StrasbourgEn 2011, nouvelle exposition au Centre Socioculturel, une nuée de « petits coeurs » glânés par centaines dans les rues de Strasbourg….. Et les expositions ont continué au rythme d’une par an….

L’un des moment le plus touchant pour moi fut lorsque l’on installait l’exposition K Love…. Des adolescents venus manger à midi au restaurant du CSC  s’arrêtent devant une photo de Karim dont on voit le reflet dans une vitrine.

-Oh, mais je le connais celui là, tu sais, c’est celui qui se promène toujours avec un appareil photo. Ils regardent un peu les photos…. Il dit qu’il est handicapé, mais s’il fait des photos comme ça, c’est qu’il est pas si handicapé que cela

Karim prend de l’assurance

 

Pautoreflet-photographie Karim TATAI StrasbourgSon parcours photographique est parsemé d’échanges, de bonjour, on se moque moins de lui, aussi, on l’infantilise moins…. Et lui se positionne clairement en tant qu’adulte et photographe. C’est d’ailleurs la première chose qu’il a faite lorsque nous sommes allés voir une exposition organisée par son ancien centre spécialisé. Il est allé voir chaque éducateur pour lui serrer la main et à chacun il a dit « Moi, je suis photographe ».

Plus il rencontre de personnes, plus il vit des moments de « tranches de vie », plus son langage s’enrichit, des tocs s’estompent, les colères s’espacent....On pourrait dire qu’on le stimule, je préfère dire qu’on l’aide à donner un sens à sa vie. Pour Karim, la photo est liée à sa vie, elle est langage, vecteur de communication. Elle enrichit en image la pauvreté d’expression par les mots. Ses photographies donnent à voir la richesse d’un monde intérieur qu’on n’imaginait pas.

Bien sûr que pour nous, derrière, trier les photos, organiser les expositions, cela demande du temps de l’énergie, cela coûte aussi, les développements, les cadres….. Mais c’est une énergie positive, constructive.… Et s’il n’y avait pas ce projet de vie, on passerait autant de temps et dépenserait autant d’argent dans les salles d’attente des psys pour essayer laborieusement d’aller mieux….

 

Alors, y’a pas photo

 

autoreflet-2-Karim-TATAI-Strasbourg pour ainsi dire…. Il ne reste qu’à suivre le chemin que Karim nous trace, suivre les petits cailloux blancs qu’il sème pour nous sur son passage…. l’aider à créer son futur, malgré et par-delà son handicap. Et quelque part, c’est lui qui nous pousse à nous dépasser.

Début octobre 2015, Karim va à Paris pour recevoir une des bourses Déclics-jeunes de la Fondation de France pour son projet, photographier pour exister, exposer pour communiquer. Analphabète et déficient, il était incapable de remplir de dossier de candidature lui même, mais nous avons tenté de présenter son « cas atypique »…  Il rentrait dans la plupart des critères requis.. C’était quitte ou double, ça passait ou pas…. Qui ne tente rien, n’a rien… Le dossier a été sélectionné régionalement puis nationalement et Karim fait partie des 37 lauréats de la promotion 2015. (sur plus de mille candidatures).

Aurait-on pu imaginer, il y a 6 ans, quand il piquait ses colères magistrales pour quitter le groupe occupationnel pour adulte qu’il venait d’intégrer qu’il deviendrait Lauréat National de la Bourse Déclics-Jeunes de la Fondation de France ?

De quoi rêver chaque jour, un futur plein d’avenir.

Pour voir mes photos

 

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Commentaires (5)

  1. Jourdin françoise

    Bravo Karim,tu as trouvé ta voie.Je trouve cela magnifique.Comme j’aimerai que notre fils s’occupe ainsi ! J’adore la photo,je mitraille beaucoup.Et je trouve que tu fais de jolies photos très intéressantes .C’est un très beau métier.Longue route à toi.Tes parents peuvent être fiers de toi.Et être si bien placé pour être lauréat,c’est que tu le vaut bien.Continues ainsi,tu es un PRO.

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  2. Sophia

    Je partage l’avis précédent : si le prix de la Fondation de France est là, c’est parce que la qualité artistique y est aussi. Tous les artistes qui nous touchent vraiment ont un angle d’approche particulier. Continue à partager avec nous. Je te souhaite une longue carrière.

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  3. Mélanie

    je suis émue aux larmes, encore, par ta plumes, par tes mots et par Karim…Je me souviens des moments qu’on a eu à parler de lui pendant des heures, quand tu me racontais sa transformation grâce à la photo, c’est impressionnant le chemin qu’il a parcouru. Bravo à lui et à toi pour cette belle leçon de vie !

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  4. Lucie.T

    Bravo Karim pour ta 37eme place, tu le mérites, tu fais de très belles photos. Tu as une belle passion et je vais continuer à suivre le blog, pour ne rien manquer de tes progrès.

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  5. Maria Rechard

    J’ai été très touchée et émue par votre bel article plein d’amour. J’ai hâte de pouvoir un jour une exposition de Karim.

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