Oui, comme toute maman d’enfant autiste, j’ai besoin de souffler, d’avoir quelques heures ou quelques jours où je n’ai pas à « gérer » l’autisme de Karim. J’ai besoin de me ressourcer pour mieux faire face au quotidien. Pendant 10 ans, il a été d’abord été externe en centre. Ses 7 années d’internat ont été une vraie respiration qui m’ont permis de souffler et même de reprendre des études. Mais depuis que Karim vit avec moi, je n’arrive pas à me résoudre à faire appel au Droit au répit. Bien sûr, il m’a été proposé plusieurs fois par des associations, mais ce qu’on me propose n’est pas conforme aux souhaits de vie de Karim adulte.
Une décision difficile à prendre
Il y a douze ans, après dix sept ans d’hôpital de jour et de centres, Karim a décidé de quitter le groupe occupationnel pour adulte qu’il venait d’intégrer. Suivre sa volonté a été pour moi une lourde décision à prendre. L’inconnu…. L’aventure sans retour ou presque. « Vous avez de la chance d’avoir une place, s’il part, nous n’aurez plus de place, vous ne pourrez plus changer d’avis…. »
Comment Karim m’a fait prendre cette décision, comment a-t-il « décidé » ? Parce que décidez-vous de votre orientation quand vous êtes autiste et déficient mental ? Que décidez-vous quand tout le monde sait mieux que vous ce qui est bon pour vous ?
Karim, à l’époque n’arrivait pas à exprimer ses angoisses, ses questionnements sur la vie comme il le fait maintenant. Son langage était la violence. Sa communication passait essentiellement par des crises de colères puissantes qui pouvaient durer des heures. Il a commencé à ne plus vouloir se lever le matin pour prendre le train le menant au centre. Des heures de négociations pour arriver à lui faire prendre le premier, le deuxième, le troisième, le quatrième voir le cinquième train. Parfois, il arrivait à 11 heures, midi au centre…. Parfois, je n’arrivais pas à le faire quitter la maison et il tournait en rond en hurlant qu’il ne voulait plus y aller….
L’impasse des médicaments
On m’a proposé la mise sous médicaments pour calmer ses angoisses. J’ai essayé, la négociation, le chantage, les promesses de DVD (c’est sa grande passion), les privations de DVD (sa grande frustration)…. Rien n’y faisait. Il se levait et m’amenait le câble du lecteur de DVD pour bien marquer sa détermination : « Je veux rester à la maison ».
J’ai essayé de comprendre son malaise, de voir si quelque chose ou quelqu’un le dérangeait au centre. Je lui ai nommé un à un les intervenants et ses compagnons de groupe. Découvrir s’il y avait quelque comportement qui pouvait provoquer cette crise… J’ai cherché ses motivations…. Et puis un jour, il a formulé « Je ne veux plus y aller, là-bas, il n’y a que des handicapés ». Il a aussi dit « quand ils en auront marre que je ne vienne pas, ils me renverront et donneront la place à un autre »… Je ne m’étais jamais attendu à une telle réflexion de la part de Karim. Il avait attendu tellement de « passer »chez les adultes. Il avait dû, au-delà de ce qu’on imaginait de ses capacités avoir ressenti la différence entre son rêve de vie d’adulte et ce qu’on lui offrait comme avenir. Les années à venir ressembleraient à ce qu’il venait de vivre depuis 6 ans dans le groupe adolescent…. Il avait eu, je pense, un ressenti d’impasse.
Rester à la maison
J’ai accepté son choix de rester à la maison. Tout restait à faire, à imaginer. J’ai cherché comment donner du sens à sa vie. Comment l’aider à la construire, lentement, jour après jour ? J’avouerai que la photographie m’a merveilleusement aidé, comme un cadeau offert au bon moment.
De son passage dans les centres, il est resté à Karim la phobie de tout ce qui peut-être une intervention intentionnelle de l’occuper. Il s’épanouit dans l’échange. Il se referme à toute proposition didactique. Pas de possibilités alors d’activités avec ce qui ressemble de près ou de loin à un éducateur notamment les animateurs. La vie et simplement la vie….
Alors, dans ces conditions, aucune possibilité envisageable d’un recours au Droit au Répit. Un « placement » (quel horrible mot) même de quelques jours serait ravageur. Cela provoquerait à coup sûr, un retour à la violence, des régressions comportementales et mettrait à mal le chemin que nous avons parcouru ensemble….
Alors, quel répit ?
La vie. Celle d’un être humain qui se construit des relations personnelles. Partager du temps avec sa famille, sa sœur,, son neveu, son frère, les personnes de l’atelier, ses oncles, tantes, cousines, amis, voisins….. Des relations qui se construisent lentement, sur des années, de rencontres en rencontres…. Bien sûr, au début, elles sont un peu forcées. Le handicap fait peur. Et nous, parents, on a peur de demander, aussi, de sortir de notre enfermement. Comment rendre possible une relation, provoquer un moment de plaisir partagé donnant envie de recommencer ?…. Apprivoisons nous, comme le renard et le Petit Prince.
Karim apprend à rendre des services, faire une course, aller à la poste, gérer son linge, des activités du quotidien qui remplissent un peu les journées….. Parce que le quotidien, c’est aussi la vie. Bien sûr, la maison, c’est pas encore ça, mais ça l’est pas pour beaucoup d’hommes et Karim ne fait pas exception. C’est facile de laisser faire maman, et ça, ça n’est pas dû uniquement à son handicap.
Karim est dépendant pour joindre les personnes qu’il connait. Il ne connait pas les chiffres, mais il demande à appeler un tel ou une telle pour demander, « c’est quand qu’on se voit »…. Il pense à ses amis, demande de leurs nouvelles…. Untel est en vacances, untel a trouvé un travail…. Et il arrive qu’il reçoit un coup de téléphone.
Mon répit, c’est de le savoir heureux
Alors, mon répit, c’est quand il va vivre une relation ailleurs, quand il va partager une soirée et une nuit chez sa cousine. Mon répit, c’est quand il va aider un ami à porter une table, quand il va au cinéma avec sa sœur. Il arrive qu’il parte faire une promenade en forêt avec un ami. Le vendredi, il prend le bus pour aller au Leclerc acheter son DVD. Il passe voir sa grand-mère. Il lui est même arrivé de partir quelques jours chez son oncle…. Karim revient heureux de ses sorties, la vie est plus sereine. Les colères perdent leur sens et s’amenuisent. Et pendant ces moments de répit qui se répètent, je me repose, je me ressource pour continuer à l’aider à atteindre son but : Vivre.
Bien sûr, c’est loin d’être 365 jours sur 365. Il y a encore les journées solitaires devant la télé quand il pleut et qu’il ne peut pas sortir prendre des photos dans la ville. Mais nous non plus, nous ne faisons pas tout le temps ce que nous aimons, nous avons aussi des obligations. Plus il vit et partage, plus il a de choses à raconter. Son langage s’étoffe. Sa connaissance du monde, des relations, des conventions s’enrichit.
S’il partait dans un établissement dans le cadre d’un droit au répit, ma tête n’aurait pas de répit, elle. Quand il va partager des tranches de vie, je peux enfin laisser le cours de mes pensées se reposer et vivre un temps à moi. Et il m’arrive même de prendre deux trois jours de vacances avec une amie…. Waouh !!!!
Rêver la vie jusqu’au bout
Bien sûr, je me pose les questions : si je tombe malade, si j’ai un accident, si je disparais….. J’ose espérer que les liens tissés soient suffisamment forts et que Karim ait fait suffisamment de progrès vers une forme d’autonomie pour éviter le placement…. L’espoir fait vivre et avancer. Rêver la vie jusqu’au bout…
J’ai partagé avec vous mon ressenti et mes réflexions et mon histoire face au droit au répit. Si vous avez envie de partager les vôtres, n’hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous.
bonjour, je suis très touchée par votre témoignage et vos mots. On ne se connait pas mais pourrais-je envoyer une petite carte postale à votre fils, un petit coin de chez moi ?