Oui, je suis heureuse…. Depuis 12 ans que Karim est sorti de l’institution, du système, il s’est passé bien des choses. Quand je vois tout ce qui arrive, les rencontres, le livre, le film avec l’équipe de la Garande, le documentaire « Karim à notre insu » je ne peut qu’être heureuse…. Mais…. Mais il ne s’agit pas que de nous, de Karim, de moi…. Il s’agit de la prise en charge de l’autisme….
8000 enfants autistes naissent chaque année dont le diagnostic et la prise en charge sont encore souvent trop tardifs…. Il s’agit de tous ces enfants qui sont mal accompagnés dans leur inclusion scolaire, par manque d’AESH, par leur mutualisation et leur manque de formation…. Il y a tous ces adultes autistes sans emplois, sans solutions, parfois enfermés dans des MAS ou des hôpitaux psychiatriques sans autre horizon que les murs de leur prison sociale…. Sans compter toutes leurs familles, le plus souvent isolées qui vivent l’autisme de leur proche au quotidien.
Karim, un petit bilan des 12 ans
Karim est autiste et déficient mental… D’après le docteur Mottron, spécialiste de l’autisme au Québec, dans l’autisme, il y a 15 % d’autistes de haut niveau, 15 % d’autistes déficients, et 70 % d’autistes avec une intelligence « normale »… Malgré tous les progrès qu’il a fait durant ces 12 années, bien que la vie au quotidien se soit allégée, il reste autiste, et la déficience est toujours là…
Il prend des photos. C’est sa façon d’appréhender le monde qui l’entoure et de l’apprivoiser. De ses photos, on en a fait des expositions pour communiquer avec son entourage.
Il fait des dessins et du coloriage de maternelle, a une chance sur 120 d’écrire les 5 lettres de son prénom dans l’ordre. Même si il connaît des chiffres, il en est encore au 1, 2, plusieurs. Le 3, c’est souvent du hasard et ce n’est pas encore reproductible… Une tablette de chocolat peut coûter un million de dollars et une voiture 500 euros… C’est le petit monde de Karim !
Il est autiste dans ses routines très souvent envahissantes qui j’essaye de modifier par petites touches…. Il a tellement envie d’être avec d’autres, d’avoir des amis, des relations. Alors, il arrive pendant un certain temps, quand les autres sont là, à avoir un comportement sociable à peu près attendu en société, si aucun imprévu angoissant ne survient…. De plus en plus, il est attentif aux autres et parfois attentionné…
Karim au jour le jour
Mais quand on se retrouve seuls tous les deux, les comportements autistiques débordent parfois, parce que c’est aussi son équilibre… Il en a besoin… Et chanter avec une voix de fausset devant son DVD en faisant du flapping, parler aux bus et leur crier dessus dans la rue, et plein d’autres petits comportements plus ou moins gênants, c’est encore bien présent au quotidien…. Et c’est Karim… Tout simplement.
Karim, c’est à la fois un petit garçon de 5 ou 6 ans, un adolescent qui se cherche et qui cherche sa place avec tous les up and down de l’adolescence et un homme de 35 ans qu’en a assez d’avoir sa mère sur son dos comme bien des hommes, en fait…. Et j’essaye juste de comprendre et de lui amener ce dont il a besoin, au moment où il en a besoin pour s’épanouir avec et dans sa différence…. Je n’ai pas pris de notes durant ces 12 dernières années, car Karim n’est pas un cas d’étude… Mais quand je regarde en arrière, ou quand on rencontre des personnes qui ne l’ont pas vu depuis longtemps, c’est là que je mesure toute la différence et tous les progrès…
Des diagnostics encore trop tardifs
8000 enfants naissent autistes en France chaque année… Malgré une nette avancée dans l’âge du diagnostic, il est encore trop tardif et il arrive hélas encore que des adultes soient diagnostiqués…. que de temps perdu ! Que de souffrances !
Une étude récente en Israël a mis en évidence la différence de résultat quand la prise en charge est très précoce. Un groupe d’enfants pris en charge à 1 an et demi, un autre à deux ans et demi, et déjà l’écart est plus que significatif… Alors que dire quand il y a des mois et parfois encore un an ou deux avant d’avoir un diagnostic ? Et que les enfants ont plus souvent trois ou quatre ans lorsque celui-ci est établi. L’angoisse pour les parents de voir les jours s’écouler dans l’attente d’une prise en charge efficiente. Avec cette certitude ancrée au fond de soi que le temps perdu ne se rattrape pas, ou pas complètement.
Je note quand même la nette avancée que représente la prise en charge précoce avant diagnostic, quand il n’y a que suspicion… Mais il y a encore tellement à faire !
Une école inclusive qui se cherche
L’école inclusive, cela fait maintenant plusieurs années qu’on en parle… Le grand virage a été pris, mais il est dur de changer des habitudes, des façons de voir, une routine qui ronronne. Les enseignants sont très peu formés, mal formés ou pas du tout formés à la différence.
Les accompagnants d’enfants handicapés sont passés du statut d’AVS (assistant de vie scolaire) à celui d’AESH (Accompagnant d’enfant en situation de handicap). Mais la formation est encore trop sommaire et généraliste. Les emplois sont précaires, à temps partiel et ne permettent pas de se projeter dans l’avenir…. Du coup, un manque d’intervenants, un turn over important alors que les enfants autistes ont besoin de stabilité.
Si le nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés est en augmentation, il ne faut pas oublier
- ceux qui sont en attente de scolarisation faute d’intervenant,
- ceux qui ne sont scolarisés que quelques heures par semaine, parfois parfois même une demi-journée seulement.
Pour pallier à ce manque d’intervenants, l’éducation nationale pratique la mutualisation des AESH, mais c’est plutôt peu concluant…. Les enfants sont en souffrance, ainsi que les enseignants et les parents. Les AESH ne trouvent plus de sens à leur travail, ballotées d’un enfant à l’autre, d’une classe à l’autre et parfois d’une école à l’autre.
Des adultes laissés sur le bord de la route
Si un gros effort s’est porté sur les enfants, pour les adultes, c’est encore loin du compte et ne parlons pas de la vieillesse. Il y a encore des adultes diagnostiqués et parfois très tardivement.
En France, trop peu d’autistes ont un travail. 0,5 % des adultes autistes ont un emploi en milieu ordinaire et 5 % en milieu protégé. En comparaison, ce taux est de 15 % au Royaume Uni, 21 % aux USA et 42 % en Australie. Il est très difficile à une personne autiste de passer le cap de l’entretien d’embauche. Parmi ceux qui travaillent, beaucoup sont employés en dessous de leurs qualifications ou de leurs compétences réelles.
Selon le rapport de la Cour des comptes sur l’autisme publié en janvier 2018 :
- « 10 % des hospitalisations au long-cours en hôpital et 40 % des journées d’hospitalisation inadéquates concernent des patients atteints de troubles du spectre de l’autisme« .
Dans la Stratégie autisme 2018-2022 du gouvernement, il est écrit noir sur blanc :
- « Beaucoup d’autistes sont à l’hôpital, ce qui ne devrait pas être leur place. Certains troubles du comportement aigus sont parfois les conséquences directes de cette mauvaise prise en charge »
Dimitri, Tim et tous les autres
Je ne peux pas être parfaitement heureuse aussi, parce qu’il y a Dimitri, Timothée. Je connais personnellement les familles depuis plusieurs années. Et depuis plusieurs années, rien ne change pour eux.
Dimitri est toujours, à 38 ans, en hôpital psychiatrique sans place adaptée. Il est sous médicaments, souvent à l’isolement. Sa famille se bat pour que lui soit trouvée une place adaptée en MAS (Maison d’accueil spécialisée)
Timothée, lui a 23 ans….Il a 23 ans, est sous tutelle et il est en MAS, solution qui ne lui convient absolument pas…. Ses conditions de vie se dégradent chaque mois un peu plus. Malgré les appels en justice de sa famille, la juge des tutelles reste pour l’instant sur sa décision et l’horizon de Timothée ne se dégage pas.