Quand le handicap brouille les pistes, il est des moments d’intense solitude, où l’on arrive épuisée, sans forces…. Je ne suis pas une super-maman … Cela m’est aussi arrivé de retrouver assise, vidée et en larmes sur le bord d’un trottoir… Dans cet article, j’ai envie de partager avec vous quelques moments terribles de l’enfance et de l’adolescence de Karim.
Prendre le bus pour aller à l’internat
Cela faisait environ 6 mois que Karim allait en internat et au fil des semaines il était de plus en plus difficile de lui faire prendre le bus du lundi matin le conduisant à l’internat.
Depuis que la décision de l’internat avait été prise, Karim n’avait qu’un seul leitmotiv : rester maison. « E.T. rentrer maison« . Pourtant, renseignements pris, une fois arrivé au centre, tout se passait bien. Il participait aux différents ateliers et cours, ne s’isolait pas ; rien qui puisse donner un signe qu’il s’y trouvait mal.
Mais le départ de la maison devenait, semaine après semaine, un arrachement des plus violents…
Il lui était de plus en plus difficile de prendre le premier bus de 7 h 14 puis le second de 8 h 14 sachant qu’ensuite il n’y en avait plus jusqu’à 13 h, ce qui le faisait arriver au centre vers 14 h 30 …… De plus, prendre le second bus signifiait qu’il loupait la navette pour le centre et qu’un éducateur devait spécialement venir le chercher à la gare.
J’essayais chaque semaine d’être convaincante puis ingénieuse, trouvant chaque fois une nouvelle idée, un nouvel argument, mais au bout de deux semaines, ceux-ci n’étaient plus efficaces. Je me voyais dans l’obligation de trouver chaque fois d’autres stratagèmes pour le faire monter dans ce fichu bus et nous entrions, lui et moi, dans une spirale infernale.
Ce matin là, nous avions méthodiquement loupé le premier bus, puis le second, et, pour moi, il était hors de question de céder à sa demande de rester à la maison car je savais qu’il allait s’engouffrer immédiatement dans cette brèche de faiblesse et que la semaine prochaine, ce serait encore plus dur. Nous avions donc pris un train pour Strasbourg, puis une correspondance pour Haguenau.
Dès qu’il reconnut la gare de Haguenau, la crise commença. Je réussis néanmoins à l’entraîner sur le quai mais il remonta précipitamment dans le train au moment de la fermeture des portes et je vis le train s’éloigner lentement, avec Karim dedans….
Par l’intermédiaire du chef de gare, je joignis celui de la gare de destination du train, expliquant le problème, et deux heures plus tard, Karim revenait, tranquillement assis dans un wagon.
Quand il me vit dans la gare, il recommença sa colère et ses hurlements de plus belle. Comme l’arrêt du train n’était que d’une minute et qu’il refusait de descendre, je le tirais et le bousculais au milieu de ses cris et des regards ahuris des voyageurs.
Même le conducteur de la locomotive quitta son poste pour voir le spectacle : un adolescent hurlant accroché à la barre du wagon avec une mère qui essayait de lui faire lâcher prise et de le descendre sur le quai de la gare. Bien sûr, dans ces moments là, vous vous sentez un peu seule au monde.
(Ce n’est rien, juste un adolescent qui ne veut pas aller à l’école et qui ferme sa tête à toute forme de négociation…. Y’en n’a pas un pour me donner un coup de main ?…. Quelle mère indigne….. etc…..)
Enfin, taxi, centre…. Quand la grille se referma, il me regarda avec haine….
En attendant le train du retour, je suis assise sur le bord du trottoir, vidée et en pleurs. Il était 14 heures.
Entre le lever et ce moment il s’était passé 9 heures. 9 heures pour emmener mon fils au centre qui se trouvait à une heure de la maison.
Le vendredi, il revenait à la maison tout content, semblant oublier l’épisode mais avec te même leitmotiv « je veux rester à la maison ».
7 ans de solitude
Durant, 7 ans, ce fut une lutte chaque lundi matin, et je pense avoir essayé toutes les solutions possibles. Rester à la maison et dans son ancien centre n’était plus possible, il avait 14 ans et il n’y avait plus de place possible pour lui. De plus, j’ai pu constater lors de réunions ou de portes ouvertes qu’il se sentait à l’aise au centre. Il me faisait visiter les lieux, me présentait ses éducateurs, saluait gaiement tout le monde, m’amenait voir le cheval dont il s’occupait…
Durant ces 7 ans, j’ai tout essayer…. et lui a aussi tout essayer pour rester un jour de plus à la maison. J’ai essayé de l’emmener en voiture, mais dans un rond point, il a ouvert la portière de la voiture pour se jeter sur la route…. J’ai fait appel au psychiatre du centre, et là, cela a aussi été un grand moment de solitude. Le médecin a discuté avec Karim et lui a fait promettre de prendre le bus le lendemain. Ils se sont quittés sur une poignée de main et moi avec un regard du médecin qui disait clairement « Vous voyez, vous ne savez pas y faire avec votre enfant ! ».… Seulement, pendant quinze jours, chaque matin, Karim a refusé de prendre le bus en disant : « J’ai promis au docteur de le prendre demain…. Demain, c’est pas aujourd’hui »… Deux semaines plus tard, deux éducateurs sont venus spécialement le chercher et il est parti avec eux sans problèmes.
J’ai voulu faire appel au prestige de l’uniforme, mais on m’a bien fait comprendre que ce n’était pas le rôle de la police. Par contre, s’il hurlait dans la rue à 6 heures du matin, clamant qu’il ne prendrait pas son bus, la vue de l’uniforme le calmait immédiatement. Maintient de l’ordre, mais pas prévention ni aide à une maman en détresse…
J’ai donc demander l’aide à deux amis, videurs de boîte de nuit… S’il ne prenait pas le deuxième bus, ils arrivaient dans la demi-heure, montaient dans la voiture à l’arrière avec Karim au milieu pour éviter qu’il n’ouvre à nouveau la portière. Sans broncher, avec juste ce que j’appellerai l’autorité du mâle dominant, Karim montait dans la voiture et ne pipait mot pendant tout le parcours, se contentant de nous tirer la langue une fois à l’abri derrière la grille du centre. Ensuite, pendant quelques semaines, il suffisait que je fasse semblant de passer un coup de fil à mes amis pour qu’il monte dans le bus….
En plus de ces bâtons de fortune, j’ai utilisé la carotte. Si Karim prenait son bus le lundi matin, le vendredi à son retour, il avait droit à une cassette vidéo. Nous allions chez le marchand de cassettes d’occasion et il pouvait choisir celle qui lui plaisait….
Puis j’ai rencontrer le chemin de la kinésiologie grâce à une amie. La formule magique « Je prends mon bus à 7 h 14 le lundi matin » et là je vis Karim monter dans le bus de 7 h 14 en me disant joyeusement « Salut maman ! »…. Waouh !!!! Une semaine…. Deux semaines…. Trois semaines…. La quatrième le bus arriva en retard et Karim refusa de monter dedans…..
Reformule magique « Je prends le premier bus le lundi matin… » et c’est reparti pour une semaine, deux semaines….. Jusqu’à un lundi férié…..
Entre les séances de kinésiologie, la cassette vidéo du vendredi, les coups de fil à mes amis videurs avec une ou deux fois un déplacement en guise de piqure de rappel, 7 ans ont passé. Karim a quitté le groupe d’observation de l’IMpro pour un groupe occupationnel pour adulte…. mais sa volonté est restée la même « Je veux rester à la maison ». Le passage en groupe d’adulte s’est très mal passé, la violence est venue renforcer les angoisses avec le cul de sac de la médicamentation.
Alors, enfin, je l’ai écouté. Il a quitté le centre pour rester à la maison et là, tout restait à créer, à inventer…. J’avais moi aussi grandi et je me sentais alors en mesure de l’accompagner sur le chemin qu’il souhaitait prendre.
S’il vous est aussi, à vous, arrivé un événement où vous avez eu envie de vous asseoir au bord du trottoir pour pleurer, et si vous avez envie de le partager, vous pouvez laisser un commentaire ci dessous ...
« demain ce n’est pas aujourd’hui »….je lis les tribulations de Karim et de sa maman entre rires et larmes…
Je vois les images défiler comme dans un film…Rita est une merveilleuse conteuse et relate ces batailles quotidiennes avec une juste distance qui cependant nous émeut beaucoup…MERCI
Je nous reconnais un peu dans votre histoire votre combat au quotidien… mon fils n’a que 5 ans et notre combat et le même. Chaque jour chaque changement demande bcp de volonté et de force pour ne pas lâcher .
Et oui. Je vis la même histoire avec mon fils Nils qui a 19 ans… il pleure tous les matins de départ vers l’ime. Et pourtant làbas, les éducs me disent que ça va une fois sur place. Évidemment, il ne parle pas bien! Mais le reprendre à la maison, non, je ne m’en sens pas capable.
Courage!!!!!!Le Bon Dieu t’aidera