Un enfant sans histoire, livre de Minh Tran Huy, journaliste, écrivaine et maman de Paul, enfant autiste non verbal de 9 ans par Pauline Roeser
L’un de mes amis vient d’avoir une petite fille. Elle a plus d’un an et ne fait toujours pas ses nuits. Elle hurle, elle n’arrive pas à s’exprimer. Lorsque je l’ai au téléphone, il me dit d’abord que tout va bien, mais qu’il a hâte qu’elle puisse parler, qu’à ce jour tout n’est que supposition concernant ses besoins et ses cris. Mon ami est ingénieur, sa pensée est déductive. Un symptôme, une hypothèse, des actions. «Mais à vrai dire, me dit-il, nous sommes sous l’eau. Nous y allons (lui et sa conjointe) cas un cas à. La fatigue est première, le stress aussi. Ça fait longtemps que nous n’avons pas fait une seule nuit, et les pédiatres restent une maigre solution.»
J’ai pensé à lui immédiatement, en lisant le livre «Un enfant sans histoire» de Minh Tran Huy, une journaliste, mère d’un petit garçon prénommé Paul.
Elle aussi, sa pensée est déductive. Elle prospecte, inspecte, cherche méticuleusement les pistes existantes comme les cas d’exception afin de trouver des solutions pour le développement de son fils avec son compagnon à ses côtés, dont elle chérit la relation, Adrien.
Deux récits
L’ouvrage s’ouvre sur leur situation, elle journaliste, lui chercheur. Le contexte financier, familial, culturel est posé. On retrouvera tout au long de l’ouvrage un parallèle avec la vie de Temple Grandin : son apprentissage, son entourage, ses difficultés, son parcours et au fil des mots ce qu’elle ressent, ce qu’elle peut dire de l’autisme. A la manière d’un documentaire qui donne son rythme à sa propre histoire avec Paul, son fils.
De la même façon que Rita TATAI costumière s’est vue répondre « Je crée des mondes, j’en créerais un pour mon fils», Minh Tran Hay étudie la situation à travers les méthodes qu’elle a apprise dans le cadre de ses études et de son emploi. Elle fait de l’investigation. Elle cherche pour trouver, ne négligeant aucune piste.
Un diagnostic précoce, des prises en charge adaptées, mais…
Rien n’est épargné au couple, ils ont pourtant la chance d’obtenir un diagnostic précoce dans un lieu favorable, Paris. Le département est en avance sur ce plan avec des aides financières et humaines. C’est au centre de la politique du handicap à ce jour concernant les diagnostics précoces. Il les obtiennent, même si elles sont toujours limitées pour un accompagnement à domicile.
Ils cherchent tous types d’aides, comme ils le font dans le cadre de leur emploi. C’est un couple méthodique, qui ne laisse rien au hasard et ne s’en laissent pas conter. Une thérapeute et une orthophoniste s’occupent de Paul, dernières méthodes à l’appui : PECS, ABA. Méthodes de renforcement à base de chips (pour Paul qui en raffole), révélant une perception du goût déjà exacerbée chez l’enfant, apprentissage de la trottinette…
Et surtout, noté pour Temple Grandin, mais aussi pour Paul : comment différencier les caprices d’un enfant non verbal du handicap ? Comment prendre la mesure de ce qui lui est insupportable et lui cause des souffrances et son caractère ?
Tandis que Temple grandit, le face à face avec Paul s’avère plus fastidieux. Là, où, Temple trouve des interlocuteurs et réussit à faire de son handicap une force, sa perception unique un atout majeur, Paul non. Il fait des progrès dans un premier temps. Il obtient même une place en maternelle dans une classe Soleil (six enfants pour deux professionnels formés spécifiquement). Les pronostics semblent bons. Puis, il régresse soudainement, sans offrir de piste d’explications laissant professionnels et parents sans réponse. Il sera redirigé vers un IME.
Un ouvrage d’exploration
L’ouvrage a tout son intérêt dans la mesure où il étudie chaque méthode ainsi que ses effets. Il est à la fois scientifique et profondément humain, facile d’accès. Les politiques de solidarité sont étudiées, tout comme l’état de la psychiatrie en France face à l’autisme. L’inclusion dans les écoles est comparée à l’échelle européenne.
Les parents eux-mêmes en reviennent à l’étude avec l’association «Les petits bleus», réduisant leurs conversations aux termes les plus utilisés. «Auto-renforcement», «pairing», etc. Jonglants entre leur métier et un enfant à domicile. Il faudra bien constater à l’issue, qu’aucune méthode préconisée ne fonctionne réellement sur Paul, même si le couple s’accroche à d’autres expériences. Celles des enfants de leur groupe d’entraide, celles lues à droite et à gauche, ses exceptions comme Hugo Horiot, Babouillec : «l’autiste sans paroles»…
Mais aussi ces mères qui ont accepté le bonheur que pouvait éprouver leur enfant en restant dans sa condition, et c’est bien de ses mères dont l’auteur se sent le plus proche au terme de son récit et dont elle envie l’apaisement.
Un bilan amer
Minh Tran Huy ne se fait guère plus d’illusion et aujourd’hui il s’agit d’être mère et non thérapeute. Elle pense que son fils n’aura jamais accès au langage, qu’il n’aura ni compagnon ni carrière. Bien que Temple Grandin soit au centre, elle-aussi de l’ouvrage, l’auteur n’hésite pas à rappeler qu’il ne s’agit pas de son enfant, un brin aigrie devant la facette «Hollywood story» qu’elle semble représenter à ses yeux.
C’est l’unicité de chaque cas qui est mise en avant ici, aucune solution ne se révèle magique pour Paul. Le récit nous dit que l’on peut faire tout ce que l’on pense possible, avoir des fonctions qui permettent de trouver d’autant plus facilement de l’aide, venir d’un milieu cultivé et accepté l’échec.
Du moins pour le moment. Restera la tendresse, qu’on lit régulièrement, même à travers les difficultés, celle d’une mère, celle d’un couple qui traversera des états dépressifs proche de l’hospitalisation. Offrir enfin des mots à son fils même s’ils ne sont pas les siens, le raconter, lui qui ne peut pas. A vrai dire : sublimer cette histoire qui a touché la famille en construction qui rêvait d’un autre destin.
Pauline Roeser
Envie de rajouter
Quant à moi, ce livre m’a poursuivie un moment et m’a laissée dubitative sur plusieurs points
- Minh Tran Huy et son mari ont été au bout de l’épuisement et au bord de l’hospitalisation… Certes, ils ont besoin de souffler. Je le conçois… Moi aussi, quand Karim est entré en internat, cela m’a donné une grande bouffée d’air… Je n’ai « commencé » vraiment avec lui qu’à ses 23 ans, quand il est sorti du centre… Et quand je vois les progrès et la marge de progression possible…. J’ai envie de lui dire : « oui, reposez-vous et quand vous vous sentirez prête, allez-y à nouveau »… Quand on regarde celles et ceux « qui s’en sont sortis » c’est le plus souvent que la mère n’a jamais abandonné. Parfois le père, ne les oublions pas même si à 80 %, les mères restent seules avec leur enfant autiste. Quand je dis « s’en sont sortis » ce n’est pas de l’autisme dont je parle. On reste autiste toute sa vie, on ne sort pas de l’autisme, mais on peut trouver des stratégies pour arriver à vivre avec.
Comparer le comparable
- Dans l’une de ses interviews, Minh Tran Huy dit avoir mis en résonance deux extrêmes du spectre de l’autisme. Temple Grandin avec le parcours brillant qu’elle a eu et son fils qui n’aura pas accès au langage… Comment peut-on comparer, déjà, même pas dix ans de la vie d’un enfant et les 70 ans de la vie de Temple Grandin… Si elle avait comparé les dix premières années des deux, je pense qu’elle y aurait trouvé beaucoup plus de ressemblances que de différences… Temple dans sa petite enfance était diagnostiquée autiste sévère…. et quelque part, c’est l’acharnement de sa mère à croire en elle, à essayer de la maintenir à l’école puis de lui trouver des lieux d’enseignement lui correspondant qui l’a aidée à tracer son chemin. (contrairement à son père qui dès le début voulait la diriger vers un établissement spécialisé et a persisté sur cette voie pendant des années).
Des mots comme un verdict
- Comment Minh Tran Huy peut dire que son fils n’aura jamais accès au langage alors que dans son livre elle cite Babouillec… Sait-elle que Babouillec n’a eu accès à l’écriture que sur ses 20 ans ? Que sa mère s’en est aperçu par hasard…. »je vivais à côté de quelqu’un qui n’existait pas, ni pour moi, ni pour personne. Quelqu’un qui ne pouvait pas s’exprimer » (Véronique, maman de Babouillec). Elle, écrivaine, n’est-elle pas sensible aux mots de Babouillec, autiste sans parole…. Qui lui dit que Paul n’y aura pas accès, n’y a pas déjà accès…
- Les parents de Paul ont tout bien fait comme il fallait… Toutes les méthodes préconisées par la HAS (Haute autorité de Santé) et pour l’instant, cela n’a pas marché. Paul a régressé. Mais il n’a que 10 ans… Qui peut affirmer que Paul n’a pas d’histoire. Et elle qui est écrivaine, pourquoi ne pas essayer ce qu’a fait Florence Henry avec sa fille Océane. Lui raconter son histoire, jour après jours, les petits riens et les petits détails de sa vie. Lui permettre de rentrer dans son histoire par les mots et l’écriture… Océane qui ne devait jamais parlé a eu un 19 à l’oral du bac de français…
- j’ai l’impression qu’elle a fait le deuil des possibles de Paul pour ne pas faire le deuil de son couple et de la famille rêvée puisqu’un autre enfant arrive…. C’est son choix…. On peut aussi choisir de faire le deuil de la famille rêvée pour vivre autre chose, différemment. ni mieux, ni moins bien, juste différent.