En colère contre furax

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Très tôt et pendant des années, les jours et les semaines ont été martelés par les colères brutales et récurrentes de Karim…. Elles arrivaient souvent sans prévenir, incompréhensibles, fulgurantes et épuisantes, à la maison, dans la rue, au supermarché…..

A l’époque, je ne savais pas que Karim était autiste, d’ailleurs je ne savais rien de l’autisme. Karim était très colérique et je faisais avec. Rien ne le faisait se calmer, ni les câlins, ni une comptine, enfin tous les trucs utilisés par les mamans pour calmer leur enfant. Quand il était encore petit, je le prenais sous le bras et je continuais stoïquement mes courses ou autres occupations, malgré ses cris et ses vociférations….

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Mais il fut un temps ou il devint trop lourd pour que je le porte sous le bras, et avec l’adolescence les colères ont empirées. Au Centre, il était angoissé, nerveux, inattentionné, mais il ne faisait jamais de colères. Elles étaient réservées à la vie de famille et surtout à moi. Ah ! Ca c’est bon pour les psys, un adolescent qui ne pique des colères monumentales qu’avec sa mère…. Comme dirait Joseph Schovanec, c’est bon pour le porte monnaie du psy. Heureusement pour mon porte-monnaie à moi que la colère avait souvent lieu devant chez le-dit psy et que du coup, on n’y arrivait que pour payer, ce qui mettait très rapidement un terme à ce genre de consultations. Finalement, pour être positive, les colères de Karim nous ont sauvé des psys.

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Les colères sont allées grandissantes avec le mal-être de Karim. Au centre, on commençait à me parler de médicaments pour le soulager de ses angoisses…..

C’est à cette époque qu’après mon DEUG de sociologie, j’entrais en licence d’ethnologie. Et là, une phrase magique de mon professeur d’Océanie durant un de ses premiers cours : « En Océanie, la violence est communication ». J’ai écris la phrase en gros sur ma feuille de cours et en sortant je me suis dit « Karim est violent, qu’est ce qu’il veut me dire ? »

J’ai toujours eu du ml à théoriser.. Le savoir pour l’érudition, c’est pas mon truc. Pour moi, les connaissances doivent permettre d’améliorer la vie, la mienne, celle de mes proches, celles du monde en général…. Et là, grâce à l’ethnologie, j’avais eu une nouvelle grille de lecture du comportement de Karim. Je me suis posé des questions sous un autre angle que celui « du rapport à la mère » et du « qu’est ce que j’ai mal fait pour en arriver là  ? »

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Et si Karim ne faisait ses colères avec moi que parce que j’étais la personne la plus adéquate pour essayer d’en comprendre le pourquoi ?

Alors, j’ai guetté les signes avant coureur, j’ai discerné plusieurs genres de colères, les courtes, les longues, celles qui s’apaisent rapidement et celles qui restent à fleur-de-peau avec des soubresauts et des redondances, j’ai observé pour déterminer ses angoisses, essayé de trouver des solutions pour y remédier…. J’ai plongé dans le corps à corps, dans l’expression physique du trop plein, cherchant les déclics, cherchant les mots qu’il ne trouvait pas pour exprimer son mal-être, testant des solutions, dessinant sa représentation du monde….  L’ethnologie m’ouvrait des possibles, et les fées qui m’accompagnaient au quotidien m’aidaient à décortiquer les données.

Peut-on imaginer la difficulté de vivre d’un adolescent déficient mental dont la vie dépend des autres. Comme tout est bien organisé pour vous, les transports, le centre, que la machine est bien huilée pour vous prendre en charge, que cette prise en charge est chère et que c’est une chance de l’avoir obtenue où est la place pour la crise d’adolescence, l’envie de sécher un cours, de faire l’école buissonnière pour goûter un peu à la liberté, à l’interdit…..

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J’ai compris aussi qu’il était le fusible de mes angoisses, l’angoisse de ne pas arriver à l’heure à la gare, de ne pas trouver une place de parking, de ne pas livrer ma commande à temps, l’angoisse qu’il loupe son train et qu’il n’aille pas au centre …. Plus mon angoisse monte et plus il devient nerveux…. Plus il devient nerveux, plus la colère risque d’arriver et si la colère arrive, on loupe le train….. J’ai appris à relativiser les contrariétés pour ne pas l’entraîner dans la spirale infernale.

Et la colère a reculé.

De journalière, elle est passée de trois à quatre par semaine, puis deux, puis une, puis une toute les deux semaines, puis par mois….

Karim a pu mettre des mots sur certaines de ses angoisses, des mots sur ses attentes, sur ses besoins. Il peut même dire : je vais être en colère…..la sentir monter et prévenir…. Il peut dire : j’ai mal là, la musique est trop forte, on s’en va…. je m’ennuie. Je suis en colère contre furax…

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Ligne indéterminée, Bernard VENET- CP-Karim TATAÏ Strasbourg

Avec les mots viennent la réflexion. Depuis quelques temps, il essaye de nous manipuler, faisant l’annonce de la colère pour obtenir ce qu’il veut….

Avec le temps, les désirs, les angoisses d’enfant deviennent des désirs, des angoisses d’adulte. Il faut sans cesse s’adapter, créer, inventer, de quoi ne pas avoir le temps de vieillir en somme…

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