L’enfant qui mesurait le monde, c’est tout d’abord un livre de Metin ARDITI (Grasset 2016) et depuis fin juin 2024 c’est aussi un film de Takis Candilis, une adaptation très libre.
Dans le livre, c’est l’histoire de Yannis, enfant autiste de 10 ans et de sa mère Marika. C’est aussi celle Elios, l’architecte américain retraité, douloureusement réfugié sur l’île grecque après le décès de sa fille, il y a 12 ans. Mais dans cette Grèce en pleine crise financière cette île paradisiaque mais pauvre intéresse un consortium immobilier. Le projet d’hôtel de luxe divise les habitants et amène le désordre dans la petite communauté. Et Yannis ne supporte pas le désordre.
Yannis
Est-il le personnage central de l’histoire ? En tout cas, il en est le fil rouge et aussi la clef. Yannis a 10 ans, il est autiste et vit avec sa mère depuis que son pète (le maire du village) les a quitté pour une autre vie sans Yannis au quotidien. Il vient le voir le dimanche soir, très rapidement, apportant du désordre dans la vie de l’enfant.
Yannis parle, mais très peu. Il crie beaucoup. Il fait des colères monumentales, cassant les objets. Il est bourré de rituels auxquels il ne faut pas déroger sous peine de crise. L’ordre des aliments sur la table, la couleur des bols, l’heure de retour de sa mère de la pêche.
Yannis compte, mesure, compare. Les chiffres sont son refuge. Les chiffres l’aident à mesurer l’ordre de son monde, l’ordre d’arrivée des bateaux de pêche, le poids des poissons, le nombre de clients au bar du village… Et dans sa tête il fait des fiches. Il n’oublie aucuns chiffres. tout est dans sa tête. Et il ne supporte pas le désordre et les changements.
Marika
Marika essaye d’aplanir tout ce qui pourrait provoquer une crise de son enfant et le village l’accompagne. Elle n’en peu plus de cette vie mesurée mais est surtout angoissée par l’après elle. Que deviendra Yannis s’il lui arrive quelque chose ?
Pour vivre ou plutôt survivre, elle est pêcheuse à la palangre. Adolescente, elle secondait déjà son père sur le bateau. A la mort de celui-ci et au départ de son mari, elle a repris l’activité. Partie aux aurores, elle est de retour à 10 h et s’occupe ensuite de Yannis, qui ne peut aller à l’école.
Elle lui apprend ce qu’elle peut. Tout est lent, long, entrecoupé de crises qui la fatigue. Mais que faire d’autre que tenir ?
Ellios
Arrivé sur l’île après le décès de sa fille, il recherche chaque trace qu’elle a pu y laisser. Elle travaillait sur les ruines du théâtre antique de l’île, à la recherche du nombre d’or. Il continue sa tâche pour garder encore ce lien avec elle. Il découvre que sa fille avait conçu un projet d’école européenne pour l’île et il y voit peut-être une alternative au projet hôtelier qui va détruire l’île.
. Peu à peu, l’architecte silencieux et l’enfant autiste se rapprochent grâce aux dessins et aux récits de la mythologie grecque. Et une tendre relation va se tisser entre la mère et l’homme blessé.
L’île, enjeu de destins
L’île est au cœur de la tourmente. Elle est toute petite et tous les habitants se connaissent. Le projet immobilier va tout chambouler. Il y a ceux qui sont pour, dans l’espoir d’une vie meilleure. Il y a ceux qui sont contre, craignant que l’équilibre et le bonheur d’y vivre malgré les conditions précaires et difficiles ne disparaissent.
Une journaliste enquête sur le projet… Des fuites calomnieuses sur le consortium arrivent au journal. Qui est le corbeau ? quel projet gagnera, le gros projet immobilier ou le petit de l’école ? L’île deviendra t’elle une destination touristique et gardera-t-elle son âme ?
Vous le saurez en vous plongeant dans ce livre magnifique ou chaque personnage a une histoire et des secrets.
Autisme et inclusion
Ce qui m’a ému dans ce livre, c’est la place que chacun sur l’île donne à Yannis. C’est un peu l’enfant de tous. Il est comme un lien entre chacun malgré ou grâce à sa différence. Personne ne peut se vanter d’avoir fait une pêche plus grosse que la réalité.Yannis se souvient de la pesée de toutes les pêches, de chaque poisson. Et lorsqu’il y a un différent de vantards, on fait appel à sa mémoire.
Au seul café de l’île, chaque jour, à la même heure, Yannis compte les clients, ceux de l’intérieur et ceux de la terrasse. Pendant ce temps, plus personne ne bouge afin de laisser l’enfant compter.
Et chacun, par ces petits riens qui ne coûtent pas grand chose, quelques minutes à peine par jour, contribue à l’équilibre du monde de Yannis. C’est avant tout cela, l’inclusion.
Et Khorma le prêtre de l’île le remarque, le petit apaise, réconcilie… Il a son rôle dans la communauté.
Le film ?
Si le réalisateur a été séduit par le livre au point d’en faire un film, le film est une très libre adaptation qui n’arrive pas à retrouver la magie du livre. Tout est chamboulé, Ellios devenu Alexandre est maintenant promoteur immobilier, et il est le grand père de Yannis. Marika n’est plus sa mère, elle était salarié par la fille d’Ellios pour s’occuper de l’enfant. Si elle est sur un bateau, ce n’est plus comme pêcheuse, elle assure les navettes entre l’île et le continent. Donc forcément tout change dans les relations entre les différents protagonistes. Même la pieuvre devient araignée.
Le temps n’est plus le même, tout semble se passer trop peu de jours pour que se tissent vraiment des relations et cela sonne faux…Tout l’intimisme du livre est survolé au profit d’images certes magnifiques mais clichés ou nostalgie du cinéaste pour ses racines grecques. Et l’on a du mal à croire à l’autisme de l’enfant même si les formes d’autisme sont multiples.
Un film est toujours réducteur d’un livre, mais tout changer à ce point ? quel livre a donc lu le réalisateur ?
Lisez le livre après le film, pas avant, pour que perdure la magie.