«Karim, à notre insu» a été présenté en avant-première le lundi 31 janvier 2022 au Cinéma Odyssée de Strasbourg avant sa première diffusion sur France 3 Alsace – France 3 Lorraine le 17 février 2022. Texte de Pauline Roeser
Le fond de la cour
J’ai emménagé en 2016 au 32, au fond de cour, juste au dessus de l’atelier La Colombe.
CP-Patrick-Lambin
Je n’avais pas la moindre idée que je ne prenais pas simplement un appart’ mais que je venais d’entrer dans un univers à part entière.
Difficile de ne pas remarquer Karim, même si les choses ont pris leur temps. Il m’interpellait régulièrement et me demandait s’il pouvait venir chez moi. Pas qu’un invité me gênait, mais les femmes avaient l’air de lui poser de sacrées questions. Et puis il était tout de même assez costaud. J’avais fini par demander à Rita ce qu’elle en pensait. Et elle, tout simplement de me dire de changer de sujet ou de dire stop. Mieux encore « Dis lui de demander à sa mère» (formule magique en passant). Et ah oui, il ne boit pas de café, ce sera plutôt un chocolat chaud.
Rita et son pied dans la porte
CP Patrick Lambin
La ferme technique pour que Karim se fasse embarquer et qu’il découvre autre chose. Mode d’emploi à l’appui. Cette porte c’était la mienne cette fois là, mais qui m’a ouvert les siennes. Celle de l’atelier, de l’appartement, de l’autisme, de la création tout azimuts -avec du fil des aiguilles et puis tout ce qu’on pourra bien imaginer pour le quotidien incertain, des uns et des autres circulant autour de la cour, autour de Karim, autour de Rita, autour des costumes, des masques, de l’improvisation – plus ou moins stables, jamais attendus.
Dans cette cour, on entendait tout. Mes fenêtres étaient ouvertes. J’ai vu des sapins se promener, comme des insectes géants. J’ai aussi entendu les cris de Karim, les crises à répétition. De l’appartement à l’atelier il traversait la cour pris dans des monologues violents. J’ai entendu l’exaspération, les tentatives pour le calmer qui pouvaient durer plusieurs heures. Travailler dans l’atelier, c’était prendre Karim avec. Aucune alternative possible.
Dans les mots de Rita et le mimétisme de Karim, il y avait cette volonté à plus de trente ans de vivre une vie de son âge. Rien de plus. Avoir des amis, une copine, faire partie de quelque chose, avoir sa place. Et ça semblait… Impossible ?
La Garande et «Karim à notre insu»
Karim et Arnaud en route vers la Normandie
Karim prend des photos, c’est arrivé à Venise. Karim a exposé un peu partout dans Strasbourg. Rita a écrit un livre sur leur vie qui a donné envie à Françoise Schöller, la réalisatrice, d’en faire un documentaire : comment pourrait se passer l’intégration de Karim dans un collectif ? Et avant même d’en avoir écrit une ligne, un certain Arnaud a embarqué Karim en Normandie pour participer au tournage d’un film.
Le documentaire parle de Karim au sein de la bande de la Garande. Comme le dit Paul, le metteur en scène, il ne s’agissait pas pour eux de faire un camp d’animations.
Karim sera acteur et fera sa part, comme les autres.
Karim et Arnaud pendant le tournage
Au sein du collectif, il trouve sa place. Les uns et les autres en parlent. De leurs doutes au départ, de l’inconnu et puis finalement de la simplicité avec laquelle les choses se sont déroulées. Comment à plusieurs, cela devient évident. On retrouve Karim, ravi au volant d’une voiture au pare brise éclaté roulant pour la première fois, un type sur le toit. Karim, dans le quotidien de la maison, mettant la table -avec réticence- un enfant dans les bras. L’un des acteurs témoigne, l’air ingénu, qu’au fond ils ont les mêmes passions : les bagnoles et se bagarrer.
Un documentaire sur l’inclusion
Le documentaire est bourré d’humour et la particularité de Karim – si elle détonne au quotidien – semble entrer simplement dans la mosaïque de cette bande et de leur création. Ils témoignent tout de même des moments où ils ont senti l’angoisse et de la façon dont ils ont choisi de l’aider. C’est aussi le fil de l’amitié d’Arnaud et de Karim. Arnaud a pris la responsabilité de son choix et l’amène jusqu’au bout, le sérieux et l’extrême légèreté mêlés.Ce documentaire ce n’est pas tant seulement un sujet sur l’autisme, mais le pouvoir du collectif, du «faire quelque chose ensemble», de l’inclusion.
La voix de Rita nous accompagne au fil du film, ramenant à une certaine réalité, la sienne en tant que maman depuis que Karim est sorti du centre. C’est la première fois qu’elle passe autant de temps seule, en sachant son fils heureux, loin de la maison. Mais elle sait aussi tout le chemin qu’il aura fallu parcourir pour en arriver là. Et que chaque petit pas aura fini par prendre son sens. Un sens qu’elle n’aurait pu imaginer.
Aujourd’hui, quand je discute avec Karim, il parle de ses copains de la Garande, de la Normandie où il continue d’aller. Et même s’il peut parler encore en boucle de ses DVD, il a gagné encore en vocabulaire et il lui arrive même de finir mes phrases.
avant-première lundi 31 janvier 2022 au Cinéma Odyssée de Strasbourg, première diffusion sur France 3 Alsace – France 3 Lorraine le 17 février prochain.
Nous sommes particulièrement heureux de pouvoir faire découvrir ce film nécessaire, lumineux et poétique.
Un film écrit et réalisé par Françoise Schöller, en collaboration avec Solene Doerflinger.
Avec la participation magistrale de Karim Tatai – Karim TATAI photographe, de Rita Tataï et de la formidable bande la Garande.
Image : Solene Doerflinger & Christophe Busché
Son : Martin Sadoux – Grégoire Deslandes
Montage : Martin Mauvais
Musique originale : Pierre David
Prod : Blandine Besnard – Max Leneveu
Affiche : Nathalie Raminoson
KEREN Production en coproduction avec France 3 Alsace – Fanny Klipfel – Anne de Chalendar
Avec le soutien de la Région Grand Est, de Strasbourg Eurométropole, de la Région Normandie – Normandie Images, du CNC et de la Procirep-Angoa.